Dossier 137

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Une affaire menée avec sérieux et impartialité mais dont le résultat ne dépasse pas vraiment ses très louables intentions.

2019, durant une manifestation des Gilets Jaunes, un jeune homme est gravement blessé par un tir de Flash-Ball. Les parents de la victime porte plainte pour violences policières. Stéphanie Bertrand (Léa Drucker), membre de l’I.G.P.N est chargée de faire la lumière sur les événements. Chaque film de Dominik Moll est le fruit d’une élaboration longue et minutieuse, d’où un espace temps assez conséquent entre deux sorties. Un travail de recherche fouillé sur les différents sujets abordés et une restitution qui  entend offrir plus de pistes de réflexion que de constats. Il forme avec le scénariste Gilles Marchand un tandem quasiment inséparable, sept collaborations sur les neuf longs métrages de Moll, largement récompensé, à juste titre (six Césars dont celui du meilleur film), pour le sommet de leur œuvre : La nuit du 12 (2012).Dossier 137, qui présente de nombreux liens de parenté (enquête dont personne ne veut, obstination du chargé de l’affaire qui en fait autant une affaire personnelle qu’un devoir de vérité…) ne réussit pas à reproduire l’alchimie, mélange de suspense, trouble et humanité, du succès susnommé.

Paradoxalement, le bât blesse là où se situe la force habituelle du duo Moll/Marchand : le scénario. Tout d’abord, son orientation. L’enquête se concentre avec un réalisme documenté sur les phases de la procédure : les interrogatoires et contre-interrogatoires, qui ne soulèvent que peu de problématiques juridico-politiques intéressantes. Une fois que l’on a compris que la rigueur et le droit de réserve sont des lois d’airain la tension redescend. A trop vouloir rendre compte de l’austérité de la fonction, l’ennuie commence un peu à nous gagner, et surtout Moll et Marchand oublient (ou n’ont pas pu) aborder les mécanismes : pressions de la hiérarchie, des politiques, des médias, qui donneraient une autre ampleur à ce sujet grave.
Soucieux de ne pas se poser en juge, les accusés et les victimes bénéficient du même temps de parole et du même traitement dans le cadre. Certes, on ne peut qu’apprécier cette impartialité, forme de courage des auteurs, car la moraline ne manque pas de faire office de valeur chez d’autres cinéastes. Mais là aussi, on tourne trop vite en rond dans les argumentations qui sont énoncées dans des dialogues trop écrits : « Certains flics sont pourris, mais pas tous », « les gilets jaunes est un mouvement aux revendications légitimes mais exploités par d’autres… ». Cette tendance à la redondance se retrouve dans le deuxième arc scénaristique qui vient forcément heurter l’arc policier : la vie privée de l’enquêtrice. Avec bien  plus de finesse et surtout de trouble, La nuit du 12 avait réussi à enfermer son protagoniste dans les limbes obsessionnelles de sa quête de vérité.

A l’instar de Dominik Moll, Léa Drucker a, durant sa carrière, toujours fait d’un respect profond pour son métier, ne cherchant jamais à se mettre plus en valeur que ses personnages. Une nouvelle fois, elle rend une copie très propre. Convaincante, mais sans plus, on aurait aimait qu’elle soit poussée un peu plus loin -comme l’on fait Xavier Legrand dans Jusqu’à la garde et Catherine Corsini dans L’été dernier- dans les tensions et les dilemmes qui naissent durant sa croisade. La dernière partie du film gagne en intensité et touche aussi bien le cœur que l’esprit. Les constats sur notre société sont sombres et éclairants, jamais manichéens, l’ensemble sonne vraie, de quoi alors quitter la salle avec quelques regrets…

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Durée : 115 mn


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