D’emblée, les influences cinématographiques font sentir leur poids, de La Notte d’Antonioni à Scènes de la vie conjugale de Bergman. Chaque séquence, orchestrée et cadrée avec une précision chirurgicale, ausculte les déchirements du couple, ses errances, ses craintes. À l’angoisse devant l’autre s’ajoute celle devant soi-même, sur une toile de fond très bergmanienne : spectre de l’avortement ; théâtre et jeux de masques ; relations mère/fille. Lesquelles s’avèrent tour à tour tendres et écrasantes – écrasantes surtout. Comme si les « derniers jours » évoqués par le titre étaient l’occasion d’un dévoilement des êtres.

Rien d’explicite, cependant, dans ce télescopage entre intime et politique. D’autant que la ville reste assez peu montrée, au profit d’intérieurs confinés : habitacles de voitures, chambres d’hôtel… Une musique dissonante accentue l’impression de claustration, sensible jusque dans le découpage. On est frappé de la rareté des champs/contrechamps : souvent, un seul plan enserre les protagonistes ; la sensation d’enfermement s’en trouve renforcée. On comprend mieux, peu à peu, le désir initial du couple qui est de fuir – mais quoi au juste : son pays ? Son conjoint ? Soi-même ? Par cette incertitude, le réalisateur dépasse son maniérisme crispé pour suggérer un horizon plus large, qu’il n’ose étreindre mais dont l’ampleur stimule.
Le film multiplie ainsi les interrogations, les ouvertures. À plusieurs moments-clefs, Nuri se contemple dans un miroir – telle une Alice névrosée qui souhaiterait passer de l’autre côté. Durant la dernière scène, entre deux plans symétriques auréolant de solennité un décor pourtant banal, le monde de Nuri semble avoir basculé. Le film aussi. Au point d’aboutir à une conclusion antonionienne, qui laisse le spectateur dans un étrange état de tension. Comme si le film n’était pas fini. Et que, même l’écran éteint, il ne pouvait pas finir. Frustration et perplexité. Inquiétude diffuse. Preuve que Derniers jours à Jérusalem, tout poseur et lourdement référencé qu’il soit, palpite d’affects qui le dépassent. Un grand film ? Sans doute pas. Mais un film habité, voire hanté, ce qui le rend à coup sûr estimable.