Qu’on se le dise, l’état du Texas n’a pas seulement produit une lignée de Présidents aussi conservatrice qu’illuminée, et un décor parfait pour des « tronçonneuses party ». Non, il a aussi vu naître une petite fratrie de brillants comédiens, les frères Quaid. L’aîné, Randy, reste tragiquement moins connu du public français, malgré une filmographie longue comme le bras, et l’Oscar remporté en 1974 pour La dernière corvée, de Hal Hashby. Acteur-né, réduit dans un premier temps à jouer le clown dans sa ville natale de Houston, Randy Quaid devra ses débuts dans le cinéma à son ami Peter Bogdanovich, qui lui donne plusieurs rôles dans des films passés à la postérité, comme Nashville ou La dernière séance.
Dennis, de quatre ans son cadet, va suivre l’exemple de son frère et quitter l’université de Houston pour tenter sa chance à Hollywood. Pour le coup, les deux Quaid deviendront frères de galère, surtout Dennis qui, durant les années 70, n’aura que peu d’occasions de se faire remarquer, à part dans le drame sportif La bande des Quatre, de Peter Yates.
Mais Dennis Quaid a tout de même un atout majeur, qui va l’aider à se faire une place en haut de l’affiche : un sourire ravageur et une cool attitude désarmante, qui lui viennent sans doute de ses origines mixtes, à la fois irlandaises et texannes. Jeune premier au visage solaire et rassurant, Dennis tranche avec Randy, dont le physique déguingandé et plus marqué le cantonne aux rôles de composition, rarement en tête de casting. Les Quaid auront l’occasion de se tester ensemble à l’écran, dans le western de Walter Hill, Le gang des frères James. Ils y jouent de fait deux frangins engagés aux côtés de Jesse James. Déjà, Dennis se fait remarquer par une interprétation fiévreuse de chien fou.
La ruée vers les sommets
Mais c’est en 1983 qu’il attire définitivement l’attention des producteurs, en jouant l’intrépide Gordon Cooper dans L’étoffe des héros, aux côtés d’Ed Harris et de Sam Shepard, qui le dirigera plus tard au théâtre. La conquête de l’espace, racontée par Philip Kaufman, qui ne connaîtra plus aussi brillante réussite, devient épique, rocambolesque, et divertissante, notamment grâce à ce personnage de Cooper, hâbleur, frimeur, d’une confiance en lui presque énervante. L’étoffe des héros est un peu la perle au milieu d’une filmographie en dents de scie où Quaid côtoie certes de grands acteurs (Michael Caine, Warren Oates, Max Von Sydow, et même Ringo Starr !), mais à l’occasion de films ratés, voire un peu honteux : L’homme des cavernes, Les dents de la mer 3, Dreamscape, La force de vaincre… Gordon Cooper lui ouvre néanmoins la voie vers des projets plus ambitieux : une oeuvre de sience-fiction, étrange mais fascinante (Enemy), un thriller judiciaire réussi avec Cher (Suspect)…
Dennis Quaid, passionné de musique, est aux anges lorsqu’il joue et interprète les chansons du Flic de mon coeur, de Jim McBride. Cet enthousiasmant polar se déroulant à La Nouvelle-Orléans remporte le grand prix du jury à Cognac, et plus que jamais, le large sourire de l’acteur (qui aurait pu jouer sans problème le Joker, tant il lui remonte jusqu’aux oreilles…) emporte l’adhésion, malgré le côté un peu ripoux de son personnage, qui ouvre les yeux sur la corruption policière dans laquelle baigne sa propre famille.
La fin des années 80 réserve encore quelques bons rôles au comédien, désormais sur la liste des stars les plus prisées d’Hollywood : dans la superproduction L’Aventure Intérieure, produite par Spielberg et réalisée par Joe Dante, il joue le pilote miniaturisé Tuck Pendleton. Dans ce feu d’artifice d’effets spéciaux et d’idées absurdes, Quaid est plus brillant que jamais. L’acteur se régale visiblement à jouer ce héros « injecté » dans le corps d’un gentil ahuri (Martin Short), peu avare en répliques cultes, comme « Bravo, Jack. Tu viens juste de digérer le méchant ». Incidemment, il rencontre aussi sur le plateau Meg Ryan, qui deviendra sa femme pour les dix ans à venir.
Debout sur un piano en feu…
Les deux tourtereaux vont collaborer dès l’année suivante sur le remake de Mort à l’arrivée, film à suspens dans lequel Quaid recherche les responsables de sa mort prochaine (il a été empoisonné à son insu). En guise d’apothéose, Jim McBride lui confie en 1989 le rôle de Jerry Lee Lewis, dans la biographie Greats balls of fire ! Teint en blond, monté sur ressorts, Dennis Quaid, qui a appris le piano pour l’occasion, trouve là le rôle d’une vie, bien aidé par le style dynamique de la mise en scène, la bande-son aux petits oignons, et la photographie très léchée d’Affonso Beato, qui fera aussi merveille dans les films d’Almodovar. Incidemment, Greats balls of fire !, tout comme Bird de Clint Eastwood, relancera la mode des biographies de musiciens américains, jusqu’au récent Walk the line.
Toutefois, le style de vie de l’acteur, qui joue parallèlement avec son groupe The Sharks, et fait selon ses propres dires « les 400 coups chaque soir », va l’éloigner un temps des studios. Il est en effet accro à la cocaïne et, après avoir tourné dans Bienvenue au paradis, drame militaire méconnu d’Alan Parker, il s’éloigne des écrans pour se soigner. Mis au placard à cause de cette addiction qu’il a pourtant domptée, il ne revient qu’en 1993, avec une comédie d’action familiale plan-plan, Pas de vacances pour les blues, et l’inédit Wilder Napalm.
Désormais comédien expérimenté et reconnu, Quaid donne tout à son art. Il est scandaleusement ignoré par l’Académie des Oscars, pour son interprétation pourtant saisissante de Doc Holliday dans Wyatt Earp. Rôle pour lequel il perdit 40 kilos, finissant par ressembler à l’écran à un cadavre en sursis. Il retrouve sa femme Meg Ryan pour un drame brûlant situé dans une région qu’il connaît bien (le Texas, donc), Flesh & Bone, joue les preux chevaliers dans le familial Coeur de dragon, ou un flic aux abois dans La piste du tueur. Quaid, l’image même de l’Américain sainement élevé au blé, joue même de son image positive en devenant un mercenaire glacial pour les besoins de Savior, curieux film de guerre situé en Bosnie.
Ses plus belles années ?
Père de famille, essayant le plus possible de garder un voile pudique sur sa vie privée (un temps bousculée par le divorce médiatisé d’avec Meg Ryan, partie convoler avec l’australien Russel Crowe), Dennis Quaid enchaîne depuis la fin des années 90 les tournages, en professionnel avoué qu’il est. Au moins deux films par an, second rôle ou star incontestable, film familial, drame ou superproductions. L’acteur est constant, la qualité des oeuvres peut-être moins. L’explosif Enfer du dimanche, long-métrage comme toujours surexcité réalisé par Oliver Stone, consacré au football américain, fait partie des bonnes surprises. Quaid y joue une légende du terrain progressivement poussée sur le banc, trop vieux pour encaisser les coups, trop jeune pour se retirer. Un rôle sur mesure dans un genre, le film sportif, qui lui réussit. Deux ans après, c’est en champion de base-ball qu’il triomphera avec le plus commercial Rêve de champion.
Entré dans l’univers dérangeant du cinéaste Todd Haynes, Quaid recueille les plus belles critiques de sa carrière, ainsi qu’un Golden Globe, pour son interprétation d’un homme marié secrètement homosexuel dans les années 50, dans le flamboyant mélodrame Loin du Paradis. Sa silhouette massive, voûtée, son sourire légendaire en berne, Quaid est impressionnant. Il a atteint une maturité de jeu, une économie d’effets qui en font l’un des meilleurs acteurs de sa génération. Son passé, comme son visage, de plus en plus buriné, en font un archétype du quinquagénaire yankee dans tous ses états, père un peu largué (En bonne compagnie, Une famille 2 en 1), héros pragmatique car expérimenté (Le vol du Phoenix, Le jour d’après), ou même Président des Etats-Unis (American Dreamz). Hollywood ne s’y trompe pas, puisqu’après l’avoir rétrogradé au poste de garde du corps du Président dans Angles d’Attaque, il va être l’incarnation de l’Americana dans toute sa splendeur, pour les besoins de l’adaptation cinéma de… G.I. Joe ! A vos ordres, général Quaid !