Déménagement

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Une métamorphose shintoïste.

Une jeune fille doit s’adapter à sa nouvelle vie après le divorce de ses parents. Physiquement séparée de son père et en désaccord avec sa mère désemparée, la jeune fille doit négocier elle-même son passage vers la maturité. Déménagement (Ohikkoshi) est l'un des films les plus acclamés dans son pays du réalisateur Shinji Sômai, célébré au Japon pour sa caméra mobile et son esthétique du long plan. Déménagement fut projeté dans la section Un Certain Regard du festival de Cannes de 1993. Shinji Sômai n'a réalisé que 13 films avant de mourir d'un cancer en 2001 à l'âge de 53 ans. De tous les merveilleux films familiaux nippons qui n’ont jamais été distribués en France, Déménagement est le film dont la négligence paraît la plus révoltante, parce qu’il est certainement le meilleur long-métrage jamais réalisé à ce jour sur l'impact du divorce sur un enfant. Il parvient à être à la fois réaliste, puis onirique, et en fin de compte plein d'espoir. Il est magnifiquement filmé, et sa vedette Tomoko Tabata, douze ans, donne l'une des meilleures performances d'un enfant jamais filmées. De plus, il s'agit peut-être du seul film qui semble à la fois inspiré par le travail des studios Ghibli et à lui fournir en retour une source d'inspiration en retour (pour Le Voyage de Chihiro de Miyazaki).

                               

Les parents de Renko l’aiment tous deux vraisemblablement, mais ils ne supportent tout simplement plus de vivre ensemble. Au début, Renko ne semble relativement pas perturbée par le déménagement de son père dans un appartement dans une autre partie de la ville, mais elle commence à avoir des ennuis à l’école et commence également à imaginer des projets pour réunir ses parents. Le point culminant de ses efforts est une visite au lac Biwa pour un festival du feu, un événement auquel elle a assisté lorsqu’elle était plus jeune, avant que sa vie de famille ne soit troublée par la discorde parentale. Au départ un peu amusée par la malice de sa fille, la mère de Renko (l’ancienne star de la musique pop Junko Sakurada) est extrêmement bouleversée lorsqu’elle découvre que sa fille a également invité son père (Kiichi Nakai). Après avoir été rassurée par son père sur le fait qu’il l’aime toujours, Renko part pour une odyssée en solo. En chemin, elle est temporairement « adoptée » par un couple de personnes âgées rencontré par hasard. Après une recherche effrénée, sa mère l’aperçoit à la tombée de la nuit– pour se faire dire « Je te verrai demain matin »- alors que Renko s’éclipse à nouveau après avoir promis à ses protecteurs qu’elle les reverrait l’année prochaine. Elle passe la nuit au festival du feu, le matsuri, dans une forêt de bambous sur une colline surplombant le site du festival, où elle prie la lune, puis au bord du lac Biwa, où elle s’endort et rêve. Le matin, alors que Renko se réchauffe sur un petit feu qu’elle a allumé, elle est accueillie par sa mère. Ayant enfin affronté la réalité de sa situation, Renko est prête à retourner à l’école – où elle doit tenir un discours sur sa famille (ce qu’elle redoutait auparavant) et se préparer au passage de l’école primaire au collège.

 

Ohikkoshi, titre original du film, signifie littéralement « bouger » comme dans « se déplacer d’un endroit à un autre ». Métaphoriquement, cela représente le passage de l’héroïne d’une situation et d’un état d’esprit à un autre lieu, une autre pensée. Comme avec Miyazaki dans Le Voyage de Chihiro (un autre film centré sur le « mouvement »), le processus de croissance et de transformation de la jeune héroïne est totalement lié aux motifs et concepts shinto. Trains, vélos, longues promenades, changements d’espaces ponctuent ce film pour nous transporter d’une émotion, d’une pensée, vers d’autres réflexions, d’autres personnages, d’autres rencontres, d’autres émotions. D’autres méditations. Ce long-métrage prend l’allure d’une introduction complète au shintoïsme dont les rites enrichiraient l’expérience des spectateurs. Le titre de cette œuvre fait donc référence au processus consistant à quitter un espace afin d’en habiter un autre, mais aussi au mouvement liminal de l’héroïne vers un espace de l’âge adulte alors qu’elle est prise dans le lien d’une société- celle des années 90 au Japon- récemment déstabilisée car en état de mutation, et tolérant désormais le divorce. Non seulement elle doit composer avec la décision bouleversante de son père de quitter le foyer familial, mais aussi avec des implications plus larges qui la laisseront un jour seule ou orpheline, tout en acceptant que de telles séparations ne constituent qu’une partie de la vie à supporter avec stoïcisme et empathie. Âgée de 12 ans, Renko se trouve alors sur le point de se transformer. Non seulement elle commence à grandir et va bientôt changer d’école, mais elle est également confrontée à une déstabilisation accrue de son foyer alors que ses parents s’apprêtent à se séparer. La tension dans la maison est claire dès notre première rencontre avec la famille alors qu’ils sont assis autour d’une table triangulaire verte presque agressive dans son design, la pointe dirigée directement vers nous, avec Renko à l’extrémité opposée et sa mère et son père presque silencieux de chaque côté. Comme elle le fait souvent, Renko tente d’éduquer ses parents, critiquant à plusieurs reprises son père pour ses mauvaises manières à table, se demandant s’il sera capable de prendre soin de lui-même lorsqu’il vivra seul, tout en reprochant plus tard à sa mère d’avoir trop bu pendant son séjour, l’avertissant de faire attention à ce que les voisins pourraient penser.

La tension de Déménagement naît de la frustration émanant d’enfants qui n’ont aucune conception de la rébellion, ici le portrait d’une jeune fille tiraillée entre ses parents divorcés lors de sa transformation en jeune femme. Après s’être enfuie de chez elle, elle se plonge dans un lac sombre qui apparaît devant elle alors qu’elle déambule la nuit dans une forêt : la retenue de la mise en scène de Sômai crée un véritable suspense. Malgré toute son apparente tranquillité, Déménagement est imprégné d’une violence plus prégnante qu’une violence explicite. Shinji Somai réalise un film qui présente une vision plutôt inhabituelle des conséquences qu’un divorce peut avoir sur un enfant. Le premier élément qui différencie le film est que ses parents ne semblent pas eux-mêmes très mûrs, le père étant en général quelque peu irresponsable, tandis que la première réaction de sa mère à son départ est de se saouler complètement après un dîner avec elle, ce qui, soi-disant, être le début de leur nouvelle vie. Le fait que Renko soit une enfant très intelligente et indépendante, qui agit comme le chef de la famille, rend cette approche différente encore plus évidente, puisqu’elle n’a rien à voir avec les filles adorables et tristes habituellement associées à ces thèmes. Par moments, elle est plutôt odieuse avec son comportement d’enfant gâtée et autoritaire.

La seconde moitié du film adopte une approche complètement différente du sujet, dans une odyssée plutôt surréaliste à travers le pays et les paysages japonais, qui la fait rencontrer un couple de personnes âgées, assister à un festival et errer perdue dans les champs, la forêt et enfin vers un lac. Ce voyage symbolise la quête de Renko face au divorce et lui apporte la catharsis nécessaire, quête qui parvient enfin à apaiser ses sentiments bouillants. Évidemment, cette partie n’a rien à voir avec le réalisme du premier et semble parfois quelque peu incongrue, mais finalement logiques et adaptées à la recherche identitaire de la protagoniste. Les 40 dernières minutes du film sont pratiquement muettes : un pur moment de bonheur cinématographique empreint de méditation et de sérénité.

La cinématographie de Somai est étonnante, car elle combine talent artistique et attribution de sens à travers les différents décors du film. Prenons par exemple la scène initiale, où les trois membres de la famille sont assis sur une table triangulaire, avec Renko en haut et les parents sur le côté, qui met en évidence, de manière certaine mais aussi très amusante, qui est le patron. La scène est filmée à travers un long plan-séquence qui tourne autour de cette famille japonaise. Les deux parents s’évitent chacun du regard, chaque membre de la famille passant régulièrement hors du champ de la caméra. La scène où Renko s’enferme dans la salle de bain est un autre exemple splendide, alors que Somai et son chef opérateur Kurita créent la tension en mettant en scène la séquence dans un espace claustrophobe, tandis que le coup de poing inattendu fournit une conclusion choquante, mais plus que bienvenue. La finesse reste au même niveau dans la deuxième partie, qui présente presque exclusivement des plans extérieurs, puisque les impressionnants feux d’artifice font place aux incendies dans les champs, au brouillard dans les bois et au rituel onirique dans le lac. La thématique de la distance est ici abordée avec une grande authenticité sur tous les plans, et avec sobriété : Somai utilise efficacement de manière répétitive la profondeur de champ entre ses personnages pour souligner l’inexorable éloignement de l’un envers l’autre.

                                                                

Saluons donc avec enthousiasme cette sortie en France d’un long-métrage dont le réalisateur reste à explorer dans nos contrées, par exemple pour son iconoclaste Sailor-fuku to kijanku (1981), histoire d’une lycéenne qui intègre les Yakuza.



							
						

Titre original : OHIKKOSHI

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Durée : 124 mn


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