Deauville 2014 suite et fin

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Le percutant « Whiplash » couronné, deux avant-premières et quelques documentaires…

« J’ai payé cher pour être le boss. » James Brown

Avec les projections de Get on up (sortie le 24 septembre) de Tate Taylor et du Pasolini (sortie le 31 décembre) d’Abel Ferrara vendredi avaient lieu deux avant-premières d’importance. Enfin, à vrai dire, Get on up plus que l’autre, tant, dès le début des festivités, on ne parlait que de la venue à Deauville du leader des Rolling Stones, Sir Mick Jagger  co-producteur de ce biopic sur le roi de la soul, James Brown. On comprend que le chanteur des Stones se soit impliqué dans un tel projet ayant, selon ses propres dires, toujours été un admirateur de « Monsieur Dynamite », et aussi parce que, en creux, c’est un peu de lui-même dont parle ce Get on up. Les deux show-men ont en commun d’avoir inscrit chacun dans l’histoire de la musique populaire du siècle dernier une trace désormais indélébile et de tout premier plan – notamment par leurs voix soul et blues exceptionnelles. Il y a dans dans le film de Taylor quelques séquences de concert où la voix (l’originale) du « King of soul » nous électrise littéralement. Les deux chanteurs se ressemblent aussi quant au fait que ni l’un ni l’autre n’ont délaissé le business en se consacrant uniquement au show. Ce sens des affaires est très bien raconté, pour Brown, dans le film. Même s’il passe rapidement sur le côté junky du chanteur et sur les sévères ennuis qu’a eu son héros avec la justice, Get on up n’est pas non plus une hagiographie. Sont très bien racontées les origines d’un caractère bien trempé, déterminé face à l’adversité, très autoritaire et parfois violent et instable. Né très pauvre pendant la Grande Dépression, James a été abandonné par sa mère, battu par son père, a connu la violence et le vice depuis son plus jeune âge. Il a dû s’en sortir tout seul. Une scène splendide résume à elle toute seule les prémisses de la passion du jeune garçon pour le chant, lorsqu’il rentre dans une chapelle et qu’il y trouve une chorale de gospel un peu déjantée dont les voix chaudes et blues s’élèvent sur un tempo endiablé jusqu’au ciel.

 

Intitulé sobrement Pasolini, le dernier opus du new-yorkais Abel Ferrara retrace comme Get on up le destin d’un homme – génial aussi – mais celui-là d’un tout autre genre que James Brown. Dans ce film, soigné et par moments très beau, le réalisateur de Bad Lieutnant (1992) s’attache à narrer les derniers jours de Pier Paolo Pasolini, le grand cinéaste et écrivain italien. On voit ce dernier lire le journal, travailler à un nouveau roman, Petrolio, et hanté par un scénario étrange et surréaliste sur un homme à la recherche du Paradis. Pasolini doit beaucoup à l’interprétation magistrale de William Defoe qui ne fait qu’un avec son personnage. Grâce à cette cette quasi-réincarnation de l’intellectuel romain, on ressent le génie de sa pensée sans cesse en ébullition. Le récit alterne des images fruit de l’imagination de l’artiste avec des séquences de vie quotidienne comme ces balades nocturnes, très belles, en Alfa Romeo dans une Rome filmée avec brio. C’est d’ailleurs dans cette Alfa gris métallisé que Pasolini roulera vers sa mort. On le retrouvera sans vie au matin du 2 novembre 1975 sur un terrain vague d’Ostie. Ferrara a choisi de nous montrer la bastonnade de Pasolini par une bande d’ adolescents dont faisait partie le jeune gigolo de l’artiste. Ces derniers jours de Pasolini sont très beaux. Abel Ferrara a réussi à imprégner, autant que faire ce peu, son film de la puissance intellectuelle du cinéaste mais aussi à nous faire approcher son mystère.

 

Last days

La profusion de fictions qu’a proposé le Festival n’a pas éclipsé pour autant le genre documentaire avec quelques films passionnants sur ce que l’on pourrait appeler une aventure américaine de notre temps. Cette aventure peut-être individuelle comme avec Life itself de Steve James sur la vie (et l’agonie) du grand critique de cinéma Roger Ebert, disparu en 2013, ou avec The Go Go Boys de Hilia Medalia narrant l’épopée de Menahem Golan et Yoram Globus, deux cousins d’origine israélienne débarqués à Hollywood au début des années 80, où ils produisirent pas moins de 300 films en quelques années sous le désormais célébrissime label Cannon Films, avant de faire faillite et de se séparer. Rappelons que ce tandem de surdoués a aussi bien produit des films d’action de série B et des nanars en pagaille, qu’ils ont financé John Cassavetes pour Love Streams (1983), Jean-Luc Godard avec son King Lear (1987) ou Barbet Schroeder avec Barfly (1987) pour ne citer qu’eux.

Mais l’aventure peut aussi se rapporter au destin collectif, aux blessures de l’histoire. C’est sur ce terrain que se place le documentaire impressionnant de Rory Kennedy : Last days in Vietnam. La cinéaste (benjamine de Bobby Kennedy) nous raconte, aux dernières heures de Saigon, les trois derniers jours d’avril 1975, l’évacuation in extremis des 7000 Américains encore en place, mais aussi de civils sud-vietnamiens. Le film commence par un rappel historique. Nous sommes en 1973 et les accords de Paris décident d’un statu quo : le contingent U.S rentre à la maison et le Vietnam est divisé avec au nord les communistes et au sud le régime pro-américain de Thieu, un partage sur le modèle coréen. Nous apprenons qu’Hanoï n’a pas bougé pendant quelques mois parce qu’elle avait une trouille bleue de Nixon et de sa réaction violente (bombardements) en cas de franchissement du 17e parallèle par les troupes nordistes. Mais quand Gerald Ford arrive au pouvoir (pour cause de démission de Nixon, le 9 aout 1974), les communistes savent qu’ils peuvent lancer l’offensive finale. Huit mois plus tard, Saigon tombait.

 

Ce qu’il y a de plus passionnant dans Last days, c’est le récit de l’évacuation des personnes réfugiées dans l’enceinte de l’ambassade américaine. L’armée populaire vietnamienne est aux portes de Saigon dont ils ont bombardé l’aéroport qui, du coup, est inutilisable. L’ambassadeur U.S, Graham Martin, ne veut pas entendre parler d’évacuation, il n’accepte pas, tout bonnement, de se rendre à l’évidence de la défaite. Il consentira pourtant, en désespoir de cause, à donner le feu vert pour la fuite. Ce sera l’option n°4, la moins pratique, la dernière a avoir été planifiée : les hélicoptères. Il y en a 80 disponibles. Pendant deux jours et deux nuits, il y aura une noria d’hélicos effectuant toujours le même ballet : charger sa « marchandise » d’hommes, de femmes et d’enfants, puis vite rejoindre les vaisseaux U.S au large de la capitale vietnamienne, et revenir se poser sur le toit de l’ambassade. L’opération est héroïque pour ceux qui l’ont effectuée, tel ces Marines qui se sont cru oubliés sur le toit de l’ambassade alors que Ford avait déjà ordonné la fin de l’opération. Finalement un hélicoptère viendra les chercher. Il est 7 h 53, ce 30 avril. L’appareil, que l’on voit s’élever dans le ciel, tandis que les premiers chars nord-vietnamiens sont déjà entrés dans Saigon, sera le dernier à décoller du toit de l’ambassade. 77 000 civils sud-vietnamiens ont été évacués durant ces trois derniers jours terribles ; des milliers n’auront pas pu l’être à temps. Rory Kennedy a donné la parole à des héros de ces jours sombres. Beaucoup de ceux qui sont tombés aux mains des communistes ont passé quelques années dans des camps de rééducation, avant, pour quelques-uns, d’en réchapper et d’aller rejoindre aux Etats-Unis ou ailleurs leurs femmes, leurs enfants, qui eux étaient montés dans un de ces hélicos de la dernière chance.

Le palmarès

Whiplash de Damien Chazelle (sortie le 24 décembre) a donc reçu ce samedi le Grand Prix de ce 40ème Festival du cinéma américain. Une victoire amplement méritée tant le film impressionne par sa vitalité, son rythme, son interprétation. C’est un petit joyau qui vient d’être récompensé par le jury, cette année présidé par Costa Gavras. The Good Lie de Philippe Falardeau, histoire optimiste et touchante de l’odyssée tirée de faits réels de jeunes Soudanais rescapés d’une guerre civile et immigrés aux Etats-Unis, a quant à lui été récompensé par le Prix du Jury. On se réjouit aussi que le Prix du 40ème Festival du cinéma américain revienne à Things People Do de Saar Klein qui nous avait enthousiasmé.

Palmarès de la 40ème édition du Festival du cinéma américain de Deauville:
Grand Prix à Whiplash de Damien Chazelle
Prix du Jury à The Good Lie de Philippe Falardeau
Prix de la révélation Cartier à It Follows de David Robert Mitchell
Prix du 40ème Festival du cinéma américain à Things People Do de Saar Klein
Prix du Public de la ville de Deauville à Whiplash de Damien Chazelle

 


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