Dans la forêt

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Un dédale psychologique incarné mais menacé par sa propre confusion.

Un pressentiment

« Un pressentiment ». Une intuition confuse sur une chose à venir, un sentiment étrange, irraisonné et pourtant fondé psychologiquement. C’est sur ce mot et sa sensation que revient la médecin du jeune Tom (Timothé Vom Dorp), lorsque celui-ci lui fait part de son ressenti à l’idée d’aller passer des vacances en Suède avec son père célibataire qu’il voit peu (Jérémie Elkaïm). C’est sur ce pressentiment que le film de Gilles Marchand repose, s’éprouve et développe son humeur. Tom, à l’âge de l’enfance, va être les lunettes écarquillées du film, son éponge émotionnelle, et un miroir se reflétant sur la présence de son mystérieux père. Accompagné de son frère aîné Ben (Théo Van de Voorde), adolescent a priori plus détaché du potentiel d’étrangeté qui peut résider dans le monde qui l’entoure, l’enfant va se confronter à une figure paternelle située dans un équilibre instable entre le réel et le mental.

 



Le caractère à la fois simple et évasif du récit du film (une excursion entre père et fils en forêt) permet au cinéaste de développer l’atmosphère de l’œuvre. A l’instar de Qui a tué Bambi ? (2003), Gilles Marchand mise beaucoup sur l’élaboration d’un climat psychologique, davantage que sur un canevas narratif donné. Dans la forêt apparaît donc rapidement moins comme une énigme à suivre et/ ou à résoudre que comme un dédale au sein duquel brouiller, mettre en branle et explorer tout un tas de tensions et sensations d’étrangeté, de malaise, de confusion. Il faut reconnaître le talent du cinéaste à construire ces méandres psychiques troublants et sans repères. Jérémie Elkaïm est au cœur de ce dysfonctionnement qui plane, perpétuellement dans un jeu insaisissable et opaque, personnage dont, à la suite de Tom, on peut sentir instantanément l’aura patibulaire – bien que de manière très brumeuse ; et dont la seule clarté se retrouve dans les petits yeux brillants, mi-inquiets et mi-inquisiteurs de son plus jeune fils. Comme le film, le personnage du père tient au niveau d’un seuil fragile et incertain, d’où naît tout le trouble ressenti, l’angoisse tatônnante. La musique de Philippe Schoeller, déjà auteur de la bande son oppressante et tranchante de L’Exercice de l’état (Pierre Schoeller, 2011) soutient, avec ses crissements et grondements souterrains répétitifs, l’atmosphère oppressante du long métrage.

 





Trouble psychologique au risque du brumeux

Gilles Marchand pousse son lacis mental cinématographique jusqu’au fantastique, s’autorisant à avancer sur plusieurs pistes (l’apparition d’un monstre, dont on ne sait s’il est réel ou né du cerveau de Tom ; les pouvoirs que pourraient posséder le petit garçon, remarqués par son père, leur lien particulier, …), déterritorialisant tout à foison dans le naturel et le sibyllin des bois majestueux dans lesquels les trois hommes vont camper. Cependant, ces qualités reposent sur un jeu de seuils qui montre ses limites et ses pannes au fur et à mesure de l’avancée du film. En arqueboutant son œuvre sur une série de terrains brumeux et liminaires, Dans la forêt finit par se perdre dans son propre écheveau, peinant à raccorder l’égarement dans lequel il s’enfonce de plus en plus, seule la figure du père y résistant. Pourtant incarnée par ses acteurs comme par le décor personnifié qui accueille l’inquiétant (cette forêt feuillue qui se donne autant qu’elle se cache), la mise en scène achève, dans la fin du film, de faire disparaître son fond d’errance. Se ponctuant comme un jeu de colin-maillard achevé sans qu’aucun des joueurs n’ait pu toucher ou reconnaître un seul morceau de visage. Balayant tout pressentiment.

Titre original : Dans la forêt

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Durée : 103 mn


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