Coffret DVD Cinéma Muet : Poil de Carotte, Le Fantôme de l’Opéra, Au Bonheur des Dames

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Trois film muets qui retrouvent leur éclat et une seconde jeunesse grâce au support dvd édité par Arte. De beaux dvds, à voir et à revoir… et à toucher grâce à une texture particulière…

Coffret ARTE Vidéo, collection Cinéma Muet. En dvd le 19 Mars (Poil de Carotte de Julien Duvivier, 1924 – 108 mn; Le Fantôme de l’Opéra de Rupert Julian, 1925 – 91 mn; Au Bonheur des Dames de Julien Duvivier, 1930 – 89 mn).

Au Bonheur des Dames (1930) est un grand film. L’œuvre pulse, les mouvements se déclinent par couple ou par ensemble : un mouvement commencé dans un plan par une personne se projette dans un second cadre avec une personne différente. Les raccords du film sont abrupts mais la violence des changements de plans est synonyme de fluidité grâce à la complémentarité des différents mouvements et protagonistes, qui unifient l’action. La musicalité des plans génère de l’intensité. Le film s’explore et se vit comme une partition. La faculté du film de 1930 est de proposer du dynamisme et de la légèreté à un film muet. Type de cinéma trop souvent enfermé dans la lourdeur d’un dispositif dépourvu de mouvement et réfléchissant la puissance de sa composition par l’hiératisme des personnages. Duvivier parvient à faire souffler un vent de folie dans son film et à dépeindre un Paris tiraillé entre un capitalisme sauvage, édifié par le magasin Au bonheur des Dames, et un archaïsme qui tombe en lambeau. La transition s’effectue par le choc, le contact des contraires. Deux entités mouvantes, une sur le déclin, l’autre en pleine expansion. Les deux systèmes ne sont plus étanches. La frontière s’absout. La substance de l’un est accrue par la complexité de son contraire. Le film, scindé en deux, se comprend par un système de projections de l’un par rapport à l’autre.

Le Fantôme de l’Opéra (1925) perpétue l’omniprésence de l’Autre comme quête. Un assouvissement du pouvoir et de la passion amoureuse qui lie l’amour et la mort dans un seul et même récital. La magie, l’effroi enrichissent un tissu basé sur l’humain et ses failles. Phantom décide d’avilir Christine Daaé, doublure de la Diva, dont il est tombé amoureux. Raoul de Chagny, l’amant de Christine, décide de sauver sa bien-aimée. L’intrigue du film reprend le schéma à trois qui égrena le mélodrame.. Ici, la teneur mélodramatique est rétrogradée par le caractère fantastique et déformé de l’œuvre. Un sous-sol, un monstre hideux et ne supportant pas son visage, un cadre bourgeois et raffiné (l’Opéra de Paris). Le Fantôme de l’Opéra révèle un caractère, une fêlure. Des plans en couleurs apparaissent pour tenter de reconstituer le flamboyant de l’époque. La pellicule coloriée au pinceau offre une séquence où le rouge sang de la cape du Phantom, sur les toits de Paris, apercevant Christine et Raoul enlacés. La cape virevoltant au vent dessine des arabesques d’un rouge vif magnifique. Aussi intense que la tristesse et la déception du Phantom. Bien que l’on puisse être choqué par la colorisation de la pellicule pour un film muet de 1925, le choix de dénaturer quelque peu l’œuvre offre une puissance graphique au plan que la restauration n’arrivait pas à retransmettre. Mais l’entreprise demeure quelque peu gênante.

Poil de Carotte (1924) de Duvivier n’a pas eu recours à cet artifice. La version restaurée du dvd correspond à la version originelle du film. Le film n’a pas d’histoire et exploite le tissu humain jusque dans ses plus fines ramifications. La famille Lepic s’acharne sur François, Poil de Carotte. Le garçon n’est pas aimé, il est exploité, maigre et habillé de guenilles. Son innocence lui permet de penser que tout ceci est passager. Cependant sa naissance est un traumatisme. Selon les dires de son père, il est arrivé trop tard pour sa mère. D’où la méchanceté et la haine que lui voue l’hideuse femme. Le film est une œuvre dense, beaucoup de protagonistes, mais un triangle de trois personnages se dégage à nouveau : Poil de Carotte et ses deux parents. Par conséquent, le film rebondit au gré des acharnements que subit le petit Poil de Carotte. L’enfant offre d’ailleurs une palette impressionnante de visages allant d’une joie intense aux pleurs après sa tentative de suicide. La terreur que lui inspire sa mère est relayée par des cauchemars ou des surimpressions dans le plan. Le plan se creuse dans sa matière et son écorce. Il gagne en densité et en intensité psychologique. La marâtre devient fantôme et omnipotente parce qu’insoluble et projection mentale du Mal et de la peur. Une obsession, un traumatisme pour cet enfant en simple quête d’amour et de tendresse.

Les Bonus du coffret DVD :

Les dvds sont préfacés par Serge Bromberg : des interventions claires et limpides, il propose une brève présentation de la carrière de Duvivier. Les trois œuvres sont trois adaptations littéraires de textes français. Au Bonheur des Dames et Poil de Carotte sont tournés à 6 ans d’intervalle. Le premier film eut deux versions : un muet et un autre parlant. La seule copie restante est celle proposée par ARTE Vidéo. Les préfaces sont de bons tremplins, de sympathiques ouvertures pour ensuite oser se perdre dans le tumultueux et fulgurant voyage que propose les films.

De ce voyage découle aussi deux reportages sur Gabriel Thibaudeau, créateur de la musique originale d’Au Bonheur des Dames et de Poil de Carotte. Le compositeur québécois insiste sur la modernité des films. Cette modernité l’a inspiré pour créer la musique. Il explique quelles furent ses interrogations lorsqu’il dut composer la séquence de perdition, de folie de l’oncle de Denise ; ou encore la caractérisation par instruments des personnages dans Poil de Carotte. Ici, l’on regrette que le reportage ne soit pas plus long car les dvds sont des supports idéaux pour ce genre de documents. Lorsqu’ils viennent se greffer au film, celui-ci ne cesse de grandir et le travail de restauration en acquiert une belle cohérence, une profondeur et un attrait puisqu’il permet une autre plongée sur le processus de post-production pour un film muet restauré. L’œuvre gagne en intérêt et la création aussi. Néanmoins, le choix de garder l’essentiel des interventions de Gabriel Thibaudeau reste convaincant et donne aux bonus un poids intéressant doublé d’un réel intérêt.

D’autres suppléments fleurissent. Des documents cinématographiques : un court métrage intitulé Le Ventre d’un Magasin pour le dvd d’Au Bonheur des Dames, un extrait de The Penalty avec Lon Chaney, le Phantom, et des extraits de Visages d’enfants de Feyder pour le dvd de Poil de Carotte. Le court métrage documentaire insiste sur la mécanique de la préparation des menus ou repas pour le personnel d’un magasin avec chiffre à l’appui. Ce court métrage répond à une séquence du film lorsque Denise se confronte à son opposante dans le film. Un court métrage qui peut paraître anecdotique mais sans incidence sur la qualité du dvd qui, dans sa globalité (son et nettoyage de l’image), souligne la réussite de la restauration des films. Le bonus le plus intéressant, dans la catégorie des extraits d’autres films inclus dans les dvds, demeure celui des extraits de Visages d’enfants. Il permet d’établir un lien et une thématique du cinéma français et du traitement du thème de l’enfance, de la comédie ou du drame humain que l’on peut aussi retrouver dans des films comme Zéro de Conduite ou Les 400 coups.

Pour finir, ARTE Vidéo propose un panorama, avec un extrait pour chaque œuvre, de tous les films présents dans la collection « Cinéma Muet » : Nana de Jean Renoir, les films de Méliès, Le Monde Perdu de Harry O. Hoyt, La Revue des Revues de Joé Francys avec Joséphine Baker… Une belle collection à (re)découvrir.

Titre original : Poil de carotte

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Durée : 75 mn


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