Cinq Vampires de la Hammer

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Les maîtresses de Dracula, Le baiser du Vampire, Comtesse Dracula, Les sévices de Dracula, Le cirque des vampires, 5 plaisirs de chair et de sang. (Proposés par Elephant Films dans son coffret « Les 13 cauchemars de la Hammer »)

Parmi les monstres de Universal Studio ressuscités par la Hammer, la figure du vampire – Dracula en tête mais aussi ses successeurs, ses avatars ou ses compagnes… – incarne, à plus d’un titre, l’effervescence, l’esprit et l’histoire de l’iconoclaste studio britannique. Tout d’abord par le nombre de ses apparitions sur les écrans des salles obscures, seize au total. De part son esprit subversif,  la quête de plaisirs interdits comme leitmotiv. Et pour finir – sans chercher nullement à être exhaustif-, son infinie appétence de sang en fait le meilleur des contributeurs à la célébration des couleurs éclatantes qui constitue le style visuel de la Hammer. Pour tous ceux qui seront surpris de ne pas retrouver ici les performances de l’unique et inoubliable Christopher Lee. Il mériterait à lui seul plusieurs Coins du cinéphile.

Le présent article fait un pas de côté, en s’inspirant du choix judicieux d’Elephant qui réunit cinq versions moins attendues du Prince des ténèbres dans son coffret « 13 cauchemars de la Hammer ». Autant de découvertes et de plaisirs en perspective.

 

Désirs de vampires

Les maîtresses de Dracula ( Brides of Dracula,Terence Fisher, 1960)

Après avoir ouvert le bal des vampires avec Le cauchemar de Dracula (1959), Terence Fisher offre des maîtresses au prince de la nuit – au passage soulignons, une fois n’est pas coutume, la plus grande pertinence du titre français par rapport à l’original. Le Dracula du titre, nommé baron Meinster, comme  dans d’autres variations du mythe – la rétrogradation dans la hiérarchie nobiliaire n’affectant nullement ses pouvoirs-, enchaîné littéralement par sa mère voit ses prières de liberté exaucées suite à l’arrivée d’une belle jeune femme dans son château. Il va alors pouvoir assouvir toutes ses envies. Trois partenaires lui étant totalement dévouées, dont Marianne, la belle française qui l’a libéré. Même si c’est la domination masculine qui mène apparemment la danse, le désir féminin s’affirme ici sans vergogne. Faussement naïve, refusant d’écouter les avertissements de la baronne, Marianne  préfère flirter avec la mort plutôt que de vivre sans frissons. Face à ce couple d’impurs se dresse l’éternel Van Helsing – impressionnant Peter Cushing – dont la détermination se révèle plus diabolique que le Mal traqué.  Le sang – le rouge – est un enjeu récurrent de mise en scène, donnant lieu à de vivifiantes analogies.

 

Comtesse Dracula (Countess Dracula, Peter Sasdy, 1972)

Depuis la mort de son mari, la comtesse Élisabeth n’a trouvé aucun remplaçant. L’arrivée au château d’un éphèbe, couplée à la découverte d’un sérum – du sang de jeunes vierges – vont relancer ses ardeurs. Sur une trame de Conte de fées – pour épouser le prince charmant, la comtesse se fait passer pour sa fille qu’elle tient prisonnière – Peter Sasdy et ses scénaristes ne craignent jamais l’outrance en matière de perfidie. La pudeur n’est également pas de mise pour une comtesse toute heureuse de retrouver ses atouts de jeunesse. Au diable la bienséance, aucune raison de priver la voluptueuse Ingrid Pitt de ses déshabillés les plus saillants. Le sexe est la préoccupation principale des personnages principaux ; en la matière les hommes – même les deux valides soldats- sont loin d’être à la hauteur, que ce soit avec la prostituée rencontrée à l’auberge, et bien encore plus avec la volcanique comtesse. Cette variation du mythe sous forme de farce gothique regorge de charme(s).

 

Les sévices de Dracula (Twins of Evil, John Hough, 1972)

Deux sœurs jumelles, Maria et Frieda, sont recueillies par leur oncle. Ce dernier est à la tête d’une confrérie religieuse qui vise à éradiquer le Mal, toute relation adultérine étant qualifié de sorcellerie. Même si son apparition est brève, mais ô combien décisive, c’est le troisième opus de la Hammer consacré à Carmilla – nommée ici Mircala. Née sous de l’imagination de l’écrivain Sheridan le Fanu, Carmilla est selon Tristan Grünberg, « un personnage composite permettant de troubler encore davantage les frontières entre horreur et érotisme, sous les auspices de la perversion sexuelle » [1]. La créature va ici se dédoubler. Toute aussi désirable l’une que l’autre, une seule des deux sœurs, Frieda, incarnera néanmoins le désir féminin. Cette dualité, garant présumé de la morale, ne gâche nullement l’esprit de subversion qui est en œuvre. Plus encore que dans les précédents films présentés ici, la Femme n’entend pas obéir aux injonctions multiples. Plutôt mourir – c’est même préférable pour garder son amant – que de rester sagement dans un foyer douillet. Certes, in fine, le despotisme masculin finit par « rétablir l’ordre », mais à quel prix et avec quel visage ? D’une violence sans nom, menée par un inquisiteur ignare et obstiné, auquel un Peter Cushing au bord de la démence  prête son visage plus émacié que jamais.

 

Jusqu’au crépuscule

Le baiser du vampire (The Kiss of The Vampire, Don Sharp, 1963).

Étonnamment, au début des années soixante, alors que son approche hors des sentiers battus  contribuait à son succès, la Hammer semble faire ici un pas en arrière. Construit sur un scénario des plus basiques : durant leur lune de miel en Europe, un couple accepte l’invitation du docteur Ravna dans son château, Le baiser du vampire se veut beaucoup moins mordant qu’à l’accoutumée. Le récit prend délicatement son temps avant de montrer son visage horrifique. Même si la violence finit par se déchaîner sans lésiner sur les moyens, d’une façon beaucoup plus prégnante un sentiment de fatalité et de tristesse – on s’épanche avec cœur sur le sort des parents des  victimes –  contribue à dramatiser l’atmosphère au lieu de la rendre inquiétante. La photographie aux tons pastels adoucit les mœurs et les meurtres, nous renvoyant vers une conception plus hollywoodienne du genre, La Passion du docteur Hohner (George Wagner, 1944) se rappelant à notre bon souvenir. Le baiser du vampire peut se vivre comme une pause agréable et salutaire avant de replonger dans des univers plus agités.

 

Le cirque des vampires (Vampire Circus, Robert Young, 1972).

Durant la deuxième partie des années soixante, le studio anglais a perdu progressivement son souffle, débordé par le renouvellement du genre outre atlantique. La stratégie de survie passe par deux axes principaux une surenchère de sang et d’action et une modernisation des mythes. Dans Le cirque des vampires, l’expédition punitive d’une troupe de vampires, doublée du désir de ressusciter leur maître, se transforme en un déchaînement digne de La Horde sauvage (Sam Peckinpah, 1968), car du côté des villageois la résistance emploie également les grands moyens. L’univers circassien étant également l’occasion de jouer sur des peurs séculaires (fauves, magie, xénophobie…). Et de couvrir le tout d’un voile freaky. Le récit qui se déroule au début du dix-neuvième siècle  trouve sa modernité dans la culture pop des seventies. À la tête du groupe de monstres, deux leaders au physique de Rock Star dont la désinvolture et le goût pour la provocation sont aussi destructeurs que leurs canines.

 

Les maîtresses de Dracula, Le baiser du Vampire, Comtesse Dracula, Les sévices de Dracula, Le cirque des vampires font partie du coffret « Les 13 cauchemars de la Hammer ».

 

[1] Grünberg Tristan,  » Les trois visages de Carmilla, le désir féminin au prisme de la Hammer » au sein de l’anthologie Le Studio Hammer. Laboratoire de l’horreur moderne. Le visage vert 2023, P.333.

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