Le film, qui fait explicitement référence au chemin de croix du Christ depuis sa condamnation à mort par Ponce Pilate jusqu’à sa mise au tombeau, est construit en quatorze séquences correspondant aux étapes suivies par Jésus. L’atmosphère de ces quatorze plans fixes au cadrage serré est très pesante ; ils confèrent une sensation d’enfermement et leur succession inéluctable est oppressante. Les très rares mouvements de caméra sont alors particulièrement signifiants, à l’image de celui qui accompagne Maria de l’assemblée des fidèles jusqu’à l’évêque le jour de sa confirmation. Dans l’entretien du dossier de presse, le réalisateur qualifie « d’épure artistique » ces plans fixes isolant un groupe de personnages ou un personnage dans un lieu donné, sans musique ou autre effet de mise en scène, un procédé qu’il avait utilisé pour son projet de fin d’études, le film Neun Szenen (2006). Ils servent ici la narration en nous faisant ressentir le malaise de Maria et l’étroitesse de son univers.
Chemin de croix n’évite pas une forme de caricature, avec un personnage de mère irascible et abusive et un prêtre presque machiavélique, qui, en quelque sorte, croisent leurs filets pour mieux y enfermer la jeune Maria. La scène du repas de famille frôle même le grotesque quand la mère prétend, après avoir causé le désespoir de sa fille : « Si ça ne tenait qu’à moi, nous serions une famille heureuse et nous déjeunerions en paix ». Cependant, cette outrance dans le mal, interprétée avec brio, a quelque chose de grisant et maintient la curiosité sur l’impressionnante dérive des personnages. D’autre part, la dégradation progressive de l’état mental de Maria est décrite avec une précision clinique : tiraillée entre la tentation d’une vie normale, la tyrannie des préceptes intégristes et sa propre aspiration à la perfection, elle perd progressivement ses repères et s’affaiblit au point de tomber, au sens propre, le jour de sa confirmation, comme Jésus sous le poids de sa croix.
Pointe aussi une forme d’humour noir ou de sarcasme dans le décalage entre les titres des stations et le contenu des scènes : la station intitulée « Simon de Cyrène aide Jésus à porter sa croix », notamment, correspond à la scène du confessionnal dans laquelle le prêtre, en stigmatisant les soi-disant péchés de Maria, alourdit encore sa croix. Dans cette version revisitée et presque parodique du chemin de croix, les proches de Maria alias Jésus, censés la soutenir, sont en fait ses tortionnaires. L’aveuglement de Maria, qui croit mettre ses pas dans ceux de Jésus, ainsi que l’absurdité d’une éducation mortifère qui prône le renoncement aux plaisirs de la vie et la souffrance rédemptrice, apparaissent d’autant plus évidents.
Avec sa construction rigoureuse en quatorze séquences, ses mouvements de caméra calculés et son abondance de symboles plus ou moins détournés – l’ouverture sur une séance de catéchèse qui rappelle la cène, les noms des personnages, Maria Göttler et son ami Christian –, Chemin de croix se prête à plusieurs lectures et procure le plaisir de l’analyse. Il a bien mérité l’Ours d’argent du meilleur scénario.