Carnet de note pour une Orestie africaine

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Carlotta et la Cineteca di Bologna ont eu la riche idée de sortir simultanément en salles et en DVD ce film mythique de Pasolini, dont on a toujours entendu parler sans jamais pouvoir le voir.

Figure de proue de l’intelligentsia marxiste, adulé dans les années 70 de par le monde, assassiné mystérieusement une nuit de novembre 1975, PPP eut une drôle de carrière, puisque ses films firent scandale tout en attirant un public populaire et curieux. Jusqu’au jour où, avec un Salò paroxystique qui ne fut montré qu’après sa mort, il marqua à jamais de son nom sulfureux l’histoire mondiale du cinéma. C’est à ce titre qu’il faut voir ce Carnet de note, comme une manière d’interpréter la réalité qui le fascinait encore plus que le Christ et Karl Marx. Alors, ce carnet de brouillon est-il un simple croquis pour un film à faire et qui ne se fera jamais ou la marque d’un génie salué en son temps comme poète, philosophe et linguiste ? Même si la RAI a finalement refusé le sujet en son temps, dans les années 70, tous les intellectuels montèrent au créneau pour le défendre, notamment Alberto Moravia qui, pour L’espresso parlait d’un Oreste à 30°. S’agit-il de degrés Celsius ou d’un angle d’attaque de cette fameuse réalité ?

Le fait d’avoir situé en Afrique le drame antique d’Oreste, fondateur de la mythologie grecque, puis occidentale – basé sur le parricide –, permet de décaler la problématique. D’aucuns pourraient émettre des doutes sur l’opportunité d’avoir déplacé le lieu du drame en Tanzanie et en Ouganda, ces pays d’un continent alors récemment libéré de la colonisation. Pasolini, à la manière d’un Socrate, pratique la maïeutique sur des étudiants africains réunis comme pour un débat de ciné-club dans une université de Rome. Dans l’assistance, on remarque la présence d’un sosie de Ninetto (Davoli), qui loucherait presque comme Totò. Si presque tout l’auditoire semble fasciné d’avoir été élu par le grand cinéaste, quelques-uns ne sont toutefois pas trop d’accord sur cette idée de mise en abyme de la situation africaine avec le mythe grec. Certes l’idée est séduisante, mais un des étudiants pointe les limites d’un raisonnement en vogue dans ces années post-soixante-huitardes qui n’hésitaient pas à pratiquer l’amalgame. Une Orestie en Afrique pourquoi pas, mais qu’est-ce que l’Afrique, sinon un continent qui s’étend de l’Océan Indien à la Méditerranée, et qu’il est bien difficile de cerner sans tomber dans une vision caricaturale.

Arrivé en Afrique, Pasolini prend des notes avec sa caméra, certains commentateurs parleront même d’une image en noir et blanc sublime, sans avoir trop peur des clichés. Mais si le film n’arrive pas à se faire, c’est qu’il y a bien une raison. Fil trop ténu, limite de l’interprétation hystérico-politique, prise en otage d’un mythe culturel que PPP connaît bien mais qu’il tente de mettre à la sauce postmoderne, il est difficile de garder en mémoire quelques images troublantes dont il était pourtant un habitué. Ce Carnet évoque par certains côtés le cinéma des Straub et Huillet, voire les pires élucubrations de JLG, entremêlées d’un free jazz démodé, qui ne nous fera pourtant pas oublier des œuvres sublimes comme Accattone ou Mamma Roma. À moins de le considérer comme un document pour faire comprendre aux jeunes actuels, notamment ceux de la Fémis, la liberté de ton et d’invention en usage dans le cinéma des années 70, hélas bien peu en cours dorénavant. Et rien que pour cela, il mérite toute notre estime.

Titre original : Appunti per un'Orestiade africana

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Durée : 70 mn


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