Broken English

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Dans la famille Cassavetes, voici la fille ! Scénariste et réalisatrice, Zoe propose une histoire d´amour entre New York et Paris bien troussée et bien jouée. Le regret persiste pourtant de ne pas y trouver une version plus audacieuse et décapante de la comédie romantique.

D’emblée, le premier long-métrage de Zoe Cassavetes a un parfum de déjà vu. Il est en effet l’archétype de la production indépendante américaine, famille de cinéma aujourd’hui parfaitement identifiable, à laquelle il se rattache de plusieurs manières. Génétiquement d’abord, Zoe étant la fille de John, génial précurseur de l’auteur indépendant, et de Gena Rowlands (qui joue d’ailleurs dans le film). L’histoire, ensuite, a été traitée maintes fois, et est devenue une quasi spécialité de ces comédies romantiques indies : soit la recherche de l’amour par une personne plutôt mal dans ses baskets.

Ici, cette quête est menée par Nora (Parker Posey), une new-yorkaise de trente ans dont la vie ne correspond en rien à ce qu’elle voudrait, prise entre un travail qu’elle n’aime pas (chargée des relations avec la clientèle d’un hôtel branché), et de déceptions amoureuses qui l’éloignent chaque jour un peu plus du prince charmant. Un jour, la carapace qu’elle s’est forgée se craquelle alors qu’elle rencontre Julien (Melvil Poupaud), un Français venu à New York pour tourner un film. Face à l’amour qui s’offre à elle, Nora hésite ; mais elle décide bientôt de reprendre sa vie en mains, voyage intérieur qui la mène jusqu’à Paris…

Malgré les a priori que sa facture et son synopsis peuvent soulever, le film emporte largement l’adhésion. Il vaut en premier lieu pour le portrait qu’il brosse de cette Nora, sympathique jusque dans ses crises de désespoir les plus névrosées. Il faut dire qu’elle est incarnée par Parker Posey, actrice trop rare qui porte véritablement le film sur ses épaules. Son physique de jeune fille et son jeu tout en présence subtile et paroles murmurées, donnent une justesse à la fois émouvante et pétillante au personnage. Avec elle, le film retranscrit tout ce que la solitude citadine crée comme cynisme social, espoirs sentimentaux et angoisse existentielle – motifs que son sourire forcé, lancé dans une soirée, exprime dès la scène d’ouverture.

Un ton plus léger est apporté par Melvil Poupaud, qui se sort très bien de son premier rôle en anglais, un tantinet caricatural (le Frenchy cool, Fedora sur la tête et cigarette aux lèvres), où il réussit à déployer son charme toujours aussi racé. C’est justement son « broken English », anglais cassé par l’accent français et objet de malentendus cocasses, qui désinhibe Nora. Le film alterne ainsi des scènes vraiment drôles (voir Nora expliquer la complexité des hommes français, mal nourris par leurs mères, est un régal), avec des scènes plus sombres (sa dépression médicamentée). Le film, largement inspiré de la vie de son auteure, évite par bonheur l’autofiction nombriliste ; à travers l’errance de son héroïne, de sa rencontre avec un homme à l’assurance nonchalante quelque peu irréelle, il distille une vision mélancolique et douce-amère de l’existence, qui change des films à la mièvrerie sucrée qui sont légion dans le genre.

Et pourtant le film ne va pas plus loin. Il reste dans l’esquisse et renonce à scruter les personnages en profondeur ; il s’en tient à l’évidence ou au mystère sans laisser surgir autre chose. A bien y regarder, le thème très actuel du film – la crise de la trentaine, l’angoisse de la solitude – cache un récit plutôt classique. Si sa fin est conventionnelle (concluant qu’il faut essayer de s’aimer soi-même pour être aimé…), le film se clôt carrément sur un paradoxe qu’il ne résout pas, faute de l’avoir véritablement relevé. Après avoir détourné le schéma romantique à son profit en montrant qu’il n’existe pas de prince charmant, Zoe Cassavetes se retouve à conclure l’exact opposé ! Elle abandonne au passage ce qui était en germe dans le début du film, à savoir une vision caustique, critique du romantisme à l’hollywoodienne.

Le film comporte en eeffet une séquence particulièrement intéressante, car complexe ; on y voit Nora sortir avec un client de l’hôtel où elle travaille (joué par Justin Theroux). Il est un acteur à la célébrité montante, il s’intéresse à elle car elle ne fait pas partie du show business mais vit la «vraie vie ». En réalité, il trouve en Nora un défi de comédien : une audition pour une liaison sans lendemain. Comme cette scène le suggère, Zoe Cassavetes aurait pu mettre au jour les canons amoureux tels qu’ils sont véhiculés par l’industrie cinématographique et télévisuelle, et en proposer un contrepoint fondé sur le réel – une comédie sur une femme qui réalise qu’elle est malheureuse parce que ce qu’elle prenait pour des exigences, sont en fait des idéaux crées par la culture populaire.
Dommage alors que la scénariste-réalisatrice se complaise dans le conte de fées un peu facile, voire improbable. S’il ne marque pas par son propos, son film recèle néanmoins une fraîcheur tout à fait appréciable.

Titre original : Broken English

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Durée : 93 mn


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