Boule de feu (Ball of Fire, 1941)

Article écrit par

Princesse Stanwyck.

Quand Billy Wilder et Howard Hawks font des bébés, ça donne des nains et des gangsters. Deux réalisateurs, deux univers, s’allient pour mélanger des pointes d’humour à un semblant de film noir. Comme quoi, il n’a pas fallu attendre les cinéastes postmodernes aromatisés frères Coen pour déjouer les clichés. Hawks et Wilder, à l’époque, s’en sont brillamment sortis, en permettant à Barbara Stanwyck de se complaire en une Blanche-Neige fatale arpentant à la fois un monde de nains gracieux et un monde de gangsters peu joyeux.

Sugarpuss O’Shea (Barbara Stanwyck), chanteuse et danseuse au corps de sirène, est la petite amie de Joe Lilac (Dana Andrews). Tous deux sont recherchés par la police et c’est pour fuir cette dernière que Sugarpuss se réfugie dans la grande et belle demeure au sein de laquelle vivent et travaillent huit professeurs acharnés à la rédaction d’une encyclopédie. Sept professeurs vieux et célibataires. Et puis un autre, plus jeune et charismatique : le professeur Bertram Potts, incarné par un excellent Gary Cooper, qui tourne en dérision le fameux stéréotype du prince charmant héroïque.
 
  

 
 
Dans Boule de feu, les hommes sont en général loin d’être virils – même Gary Cooper, qui se tient constamment droit comme un manche à balai. Ces personnages masculins apparaissent alors comme de purs personnages de comédie. C’est le déséquilibre entre leur masculinité existentielle et leur féminité latente qui crée ce flou, risible et cocasse, de personnages intelligents mais maladroits, âgés mais naïfs. Toute la subtilité comique se trouve aussi dans le fait qu’il n’y a pas de connotations homosexuelles et que leur innocence et leur ignorance du fait féminin sont totales. Ces joyeux lurons ne semblent avoir jamais rien fait travailler d’autre que leurs cerveaux.
 
Et puis arrive cette femme qui impose à tous ces hommes son corps de déesse ; la seule autre femme présente dans le film étant Miss Bragg (Kathleen Howard), la domestique, la bonne à tout faire qui semble dater d’un autre siècle. Sugarpuss, elle, représente la nouveauté, l’exotisme. Cérébralité et sensualité s’affrontent alors. Les contes sont pleins de morale et traitent ses héroïnes comme des femmes soumises. Dans Boule de feu, le personnage de Sugarpuss, lui, joue sur deux tableaux. Elle utilise les hommes, se dissimule sous les mensonges qu’elle leur profère et n’hésite pas à user de ses charmes, se fichant de la bonne morale. Elle avouera elle-même, sans cependant l’assumer pleinement, qu’elle agit par moments comme une « traînée ». Cette femme va échapper à sa condition de soumission et de passivité en adoptant des réflexes masculins. D’un côté, Sugarpuss est soumise et mal considérée par la bande de gangsters. Pour eux, elle n’est que la nana de Joe. D’un autre côté, elle est entièrement idéalisée par la bande de professeurs, qui la considèrent comme une vraie princesse.
 
 

 
 
Les personnages se complètent et, bien que souvent mal assortis, s’enrichissent les uns les autres. Sugarpuss et Bertram semblent eux aussi mal coordonnés et c’est tant mieux. Parce que ce sont toujours les couples les plus improbables qui ont toujours le mieux fonctionné et qui nous font sûrement le plus rêver. Boule de feu est ainsi un film à la fois classique et totalement empreint de modernité. Il ne renvoie pas à une société précise, réussissant à s’extraire d’un réalisme pur et évident pour jouer entièrement sur des phénomènes de genre. La lucidité comique et cynique pleine de soubresauts de Wilder fusionne brillamment avec la froideur semi-douce de Hawks.

Titre original : Ball of Fire

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Durée : 111 mn


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