Border

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Un conte moderne cruel qui revisite brillamment la figure onirique du monstre sur fond de tolérance et de recherche identitaire

Tina (Eva Melander), douanière travaillant pour une compagnie de ferrys, possède un flair d’une efficacité redoutable. À tel point qu’elle perçoit les émotions des gens, décelant en eux le moindre sentiment de peur ou de culpabilité. Un jour, un homme, Vore (Eero Milonoff), fait son apparition. Son attitude trouble Tina, mais pour la première fois son don lui fait défaut. Elle ne parvient pas à déchiffrer les intentions de l’inconnu. Autre fait perturbant, Vore présente les mêmes singularités physiques qu’elle, singularités dont elle a toujours ignoré l’origine. Vore exerce alors sur elle une mystérieuse attirance, entre soupçon et fascination.

La première scène de Border (« Frontière » en anglais) illustre foncièrement le propos de ce drame fantastique scandinave : Tina sur une berge, minuscule face à un gigantesque bateau. La jeune femme se penche, attrape un insecte dont elle observe la progression sur sa main. Plusieurs échelles sont ainsi mises en perspective, qui feront écho aux disparités sociales révélées au cours du récit. De fait, Tina souffre de la solitude qui rythme son quotidien. Ses collègues lui accordent une confiance exempte de complicité, son compagnon un attachement dénué d’amour. Son père, quant à lui, refuse de se montrer franc avec elle. Ce personnage permet à Ali Abbasi de revisiter la figure du « monstre » en le faisant ici protagoniste et non antagoniste. La société a fait de Tina ce qu’elle est, âme solitaire préférant la compagnie des animaux à celle des hommes. Cette femme à l’apparence disgracieuse se montre profondément humaine, davantage que toute autre personne. Force nous est d’éprouver pour elle sympathie et pitié.

Adaptation fidèle de la nouvelle éponyme du suédois John Ajvide Lindqvist, Border se distingue de l’oeuvre originale en étoffant l’intrigue d’une enquête menée par Tina et ses collègues, qui tentent de démanteler un réseau de pédophiles. Le sujet, à l’instar de l’atmosphère anxiogène qui émane du film, n’est pas sans rappeler Le Traitement, de Hans Herbots (film tiré lui-même du roman L’Homme du Soir, de Mo Hayder). Mais là où Le Traitement empruntait au fantastique ses aspects les plus malsains, Border se teinte plutôt d’un onirisme digne du Petit Poucet. Vore, en ogre moderne inquiétant, s’abstient de tout manichéisme pour donner à voir un personnage ambigu, aux motivations incertaines. La direction photographique de Nadim Carlsen illustre avec brio le caractère poétique et sombre du film.

Border se présente comme une oeuvre singulière au sein de laquelle les questions dansent souvent avec les points d’interrogation. Abordant des thèmes tels que l’acceptation de soi, la sexualité, ou encore la maternité, le film d’Ali Abbasi se distingue par son originalité et se révèle étonnamment vrai et humain.

Titre original : Border

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Durée : 108 mn


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