Blade Runner

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Retour sur le film matriciel de Ridley Scott, conte hors du temps.

Rick Deckard, ancien agent des services de nettoyage de la police (Blade Runner), est contraint par son employeur de reprendre du service pour éliminer sept répliquants défaillants, des robots à l’apparence humaine fabriqués par la Tyrell Corporation, une société de clonage. Sa mission : les identifier puis les traquer. Quitte à être confronté à ses propres contradictions….

Blade Runner, la négation du film de science fiction

De nombreux geysers de feu segmentent une énorme métropole qui s’étend à perte de vue. Les premiers plans de Blade Runner révèlent le désir de Ridley Scott de multiplier les allusions à Metropolis (1927) de Fritz Lang. Pourtant, tout comme chez son aîné, les décors ne sont en définitive que des artifices. A cet égard, il peut sembler surprenant que Blade Runner ait été désigné à plusieurs reprise comme le meilleur film de science fiction, tant l’histoire humaine prend manifestement le pas sur le fantastique. Car si Ridley Scott adapte – librement – le roman de Philip K. Dick (Do Androids Dream of Electric Sheep ?), c’est pour n’en retenir qu’une sève métaphysique : Quelle différence entre l’Homme et la machine humaine ?

L’action est concentrée autour de quelques lieux, des bas fonds aux portes d’un hangar désaffecté. De quelques protagonistes, Rick Deckard (Harrison Ford), Rachael (Sean Young), Roy Batty (Rutger Hauer) et l’immense population invisible de Los Angeles. L’habillage futuriste est ainsi habillement utilisé pour mettre en lumière la dégénérescence de notre monde contemporain. La pyramide de Tyrell Corporation représente une entreprise multinationale au dessus de toute morale naturelle. Commerce is our goal here at Tyrell. More human than human is our motto. Le généticien marchand d’organes symbolise la dérive du progrès. Un vaisseau publicitaire navigue dans les airs, répétant sur un large écran un message. A new life awaits you in the Off-wolrd colonies. Ce slogan saturé faisant référence à une autre planète, marque le rejet du récit de la science fiction en tant que tel. Les autres mondes représentent une illusion, un mirage. Il n’est pas question de voyager dans l’espace comme dans le roman de Philip K. Dick.

 

La simplicité de la vie des personnages et leur mode de pensée réduisent la dimension fantastique du récit, qui s’apparente davantage à une réflexion, à un rêve, pour ne pas dire un cauchemar. L’appartement sombre de Deckard est timidement transpercé de faisceau de lumière de couleur froide. La délocalisation constitue donc un moyen de proposer au spectateur un autre regard sur le film. Ridley Scott utilise le futur comme une vitrine pour imprégner l’inconscient du spectateur autour d’un débat sur la conscience de notre monde. La conscience est-elle suffisante pour différencier de la machine humaine ?

Blade Runner, un essai sur la conscience humaine

La musique du compositeur Vangelis résonne comme un interstice poétique au milieu d’une atmosphère ténébreuse. « Ciel Orange, pollué d’averses acides, troué de panaches de flammes, suspendu au dessus des pyramides des grandes Corporations dont les volumes renvoient l’image des sanctuaires précolombiens de Teotihuacan. […] Une foule bruyante et hybride, occidentale, hispanique et asiatique grouille dans les rues sales, s’engouffre dans les passages, court entre les détritus, les gerbes de vapeur et les flaques d’eau. » (Serge Gruzinski, La guerre des images). Le mélange et le désordre effacent ainsi la frontière entre vie et humanité. Le portrait de l’humanité est métaphysique, à défaut d’être biologique.

Rick Deckard, le héros, apporte une lumière au milieu de ce décor lugubre. Il se place en marge de la vie de la population de Los Angeles. Il vit dans l’antre comme une virgule dans un roman. Ridley Scott le place volontairement comme un homme lambda, proche de son quotidien. Pourtant, il se trouve en perpétuel décalage avec le monde qui l’entoure, un monde en perte de repères et dont il a peur.

 

 

Toutefois, contrairement à une vision stéréotypée du Héros, Deckard ne parvient pas à porter son costume. Sa conscience se voit confrontée à un dilemme : choisir entre sa mission et Rachael, un répliquant pour lequel il éprouve une forte attirance. Si, dans un premier temps, Deckard révèle à Rachael l’illusion de sa vie (les sentiments qu’elle ressent ne sont que fabriqués), il se rétracte très vite, de peur de la blesser (« You ever tell anyone that? Your mother, Tyrell? They’re implants. Those aren’t your memories, they’re somebody else’s. They’re Tyrell’s niece’s. OK, bad joke, I’m sorry… No, really, I made a bad joke. Go home, you’re not a Replicant »). Mais la peur rôde, comme un mauvais allié, et c’est dans l’alcool qu’il trouve le refuge nécessaire à l’oubli. Pourquoi cette fuite en avant ? Deckard est en fait lui-même un répliquant. Et c’est donc contraint et forcé qu’il remplit la mission qui lui a été confiée, malgré ce que lui dicte son âme. Cette vision de la conscience est assez subjective, au contraire de celle plus manichéene d’autres metteurs en scène.

Ridely Scott confronte son héros à un monde dépourvu de sentiments. Dans son esprit, Deckard est un répliquant forcé d’agir contre sa propre conscience. « Replicants are like any other machine: they’re either a benefit or a hazard. If they’re a benefit, it’s not my problem». Il en fait le représentant d’une conscience humaine et le porte-parole des interrogations d’une société : l’humanité se résume-t-elle à une question d’appartenance biologique ? Autrement dit, la conscience ne constitue-elle pas le dénominateur commun de l’humanité ? Ridley Scott établit alors un parallèle entre notre société contemporaine – symbolisée par Deckard – et ce vers quoi elle pourrait tendre à l’avenir – représenté par les miasmes infâmes des bas fonds de Los Angeles. Il propose une critique acerbe sur l’avenir de ce monde. L’être humain devient l’accessoire de son environnement.

Lors de leur première rencontre, Rachael évoque directement à Deckard ce décalage entre la conscience de Deckard et ce qu’il fait. Rachael le souligne quand elle évoque l’intérêt de son travail. It seems you feel our work is not a benefit to the public.

Blade Runner, entre mémoire et présent

La Tyrell Corporation vend de l’illusion. Elle crée la mémoire de ses répliquants à partir de fragments de mémoire humaine. Un enfant jouant au ballon. Une mère qui souffle des bougies. Un père endormi sur une chaise à bascule. Dans ce montage hybride, le souvenir devient alors une marchandise que l’on peut manipuler. C’est cette faille qui permet à Deckard de les identifier – « We call it Voight-Kampf for short. Memories, you’re talking about memories ». La mémoire est un produit de cette société futuriste. Lors de la scène finale, Ridley Scott rejette avec sensibilité cette hypostase.

La scène finale apparaît dès lors comme le point d’orgue de cette longue interrogation. Le combat qui oppose le héros au dernier répliquant, Roy Batty (incarné par Rutger Hauer), est ainsi des plus énigmatiques. Alors que les deux personnages s’affrontent physiquement dans une lutte féroce, le dernier répliquant se lance dans un long plaidoyer. Roy Batty pleure la mort de sa compagne et s’ouvre de ses sentiments auprès de Deckard. Ce dernier reste muet. Il ne répond pas, comme pour laisser au spectateur le soin de prendre sa part à la réflexion. Tout au long de sa mission, Deckard livre un combat contre sa propre conscience. La solitude lui donne l’opportunité d’entamer une introspection, un retour sur sa mémoire. Sa traque des répliquants n’est finalement que la représentation symbolique de cette quête personnelle.

 

 

Que reste-il de notre mémoire après la mort ? Les images, sans doute. – I’ve seen things you people wouldn’t believe. Attack ships on fire off the shoulder of Orion. I watched c-beams glitter in the dark near the Tannhäuser Gate. Mais essentiellement l’émotion. La mémoire ne prend de sens que si l’image est chargée d’une certaine intensité. Les paroles de Roy Batty stigmatisent ce besoin d’exprimer et de matérialiser ses sentiments plus que sa mémoire. Transparaît ainsi l’émotion de la mémoire, cette mémoire qui n’a de sens que par le prisme du présent. La mémoire est un guide vers l’avenir ; pas un moteur. Si l’image se perd, l’émotion doit se vivre au présent. All those … moments will be lost in time, like tears…in rain. Time to die.

Ridley Scott ne s’attarde pas sur une mise en avant de l’intrigue, mais instrumentalise sa mise en scène. A l’instar d’Antonioni, le temps mort est dogmatique. L’onirisme est le moteur de la réflexion. Récit crépusculaire de notre monde. Essai philosophique sur la conscience. Blade Runner renvoie le reflet de notre propre mémoire et une image de notre conscience.

 

Titre original : Blade Runner

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Durée : 115 mn


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