Berlin Boys

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Du soleil, du béton et des garçons qui s’ennuient…

Juste après le big bang

Réalisé en 2023 comme s’il s’agissait d’un film tourné en 2003, soit vingt ans plus tôt, le sixième long-métrage du réalisateur et scénariste David Wnendt, a été présenté en première mondiale à la Berlinale 2023. Il ne sort pas en salles mais sur la chaîne Univers Ciné et c’est une belle occasion de visionner ce que le cinéma allemand fait de mieux en ce moment. Lorsque David Wnendt découvre le roman Sonne und Beton (Soleil et béton) qu’il dévore, il demande à son auteur, qui est aussi slamer et humoriste, Felix Lobrecht, d’écrire le scénario du film avec lui, et qu’il produira avec Fabian Gasmia. Après un casting gigantesque, souvent sauvage dans des établissements scolaires dans toute l’Allemagne, la production auditionne envers 500 jeunes gens et va en recruter six principaux qui vont exceller dans les rôles majeurs de ce film qui met en scène un monde masculin dans le quartier de Gropiusstadt dans le sud-est de Berlin, arrondissement de Neukölln, comprenant essentiellement de grands ensembles résidentiels construits entre 1962 et 1975 qui vont constituer le décor idéal de ce film entre béton et soleil écrasant d’un été chaud et désoeuvré dans les années 2000 juste après le big bang du second millénaire et avec les incertitudes sur l’avenir de la jeunesse.

Entre violence et tendresse

C’est donc la fin de l’année scolaire et l’été s’est installé avec ses tourments et ses illusions. La petite bande tourne en rond, dans ces familles déstructurées sans amour, notamment celle de Lukas où le père alcoolique tabasse sa mère, ou avec trop d’amour pour certains, par exemple celle de Sanchez qui vit seul avec une mère surprotectrice au milieu des cartons d’un emménagement jamais terminé, etc. Il faut dire que les jeunes recrues sont vraiment excellentes et que le film oscille entre violence (on pense parfois à l’ambiance d’Orange Mécanique de Stanley Kubrick en 1971, lui aussi tiré d’un livre, mais sans l’idéologie qui le sous-tend) et tendresse puisque ce que le réalisateur revendique, à travers ce long-métrage, c’est de montrer la souffrance des adolescents qui ne sont jamais aidés ou encouragés. Les voici livrés presque à eux-mêmes dans un univers écrasant de chaleur, au milieu de dealers issus de l’immigration turque et/ou maghrébine, déjà en guerre entre eux, et une école aussi accueillante qu’un bunker dans laquelle ils choisiront de commettre leur larcin en espérant illusoirement s’enrichir. 

C’est quoi le bonheur

Ce n’est donc pas pour rien qu’ils décident de dérober pendant la nuit le stock d’ordinateurs que l’école vient d’acquérir pour aider ces jeunes défavorisés à s’en sortir. Le choix n’est pas innocent puisque les ordinateurs étaient alors encore très lourds, encombrants et très onéreux. Ils représentaient aussi l’avenir culturel et sociétal du libéralisme et leur vol prouvait sans doute inconsciemment par-là la révolte de ces jeunes face à une institution qui les méprisent tout en voulant les transformer, et donc les dominer. Mais les ordinateurs sont tous tracés et la vente s’avérera difficile, voire impossible. Le résultat est un film passionnant et vibrant, qui ne laisse pas entrer une once de désespoir car on sent ces jeunes pleins de vie et d’espoir bien qu’ils se heurtent souvent aux parois d’un bocal qui les emprisonne comme un carcan. C’est cette impression qu’on doit retenir après la projection et que résume à merveille l’auteur du livre, Felix Lobrecht : « Le but était d’exploiter différentes émotions, de couvrir tout le spectre de la vie à Gropiusstadt. Bien sûr, on se fait botter le cul, mais on est toujours dehors avec ses amis. On s’amuse, on déconne, on se saoule, on raconte des conneries. Il fallait que tout cela soit là. Et David a fait un excellent travail. Je suis très heureux. »

Sur Univers Ciné à partir du 12 juillet 2024

Titre original : Sonne und Beton

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Durée : 118 mn


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