Arras Film Festival – Bilan

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Suite et fin d’une compétition qui nous a réjouis.

La compétition s’est donc terminée dimanche dans un climat somme toute assez lourd après l’horrible nuit de vendredi qui a laissé une marque certaine chez chacun – et sous un crachin froid qui a remplacé le ciel bleu des premiers jours.

Des deux derniers films qu’il nous restait à voir, il y eut d’abord un film finlandais de Klaus Harö, The Fencer (L’escrimeur) qui, disons-le d’emblé, nous a ravis au point que nous le classons parmi les trois films qui auraient pu remporté notre suffrage pour la récompense finale. Là aussi nous observons la marque de l’Histoire et de ses déchirures profondes. Faisant écho, comme une suite, au sujet de 1944 d’Elmo Nünganen – c’est à dire le martyre d’une Estonie prise en tenaille entre l’Allemagne nazie et l’URSS -, dont nous avons parlé précédemment, The Fencer évoque l’histoire d’un jeune homme qui s’est réfugié dans une petite ville estonienne, au début des années 50, parce qu’il est pourchassé par la police politique de Staline. Son crime ? Avoir été enrôlé par l’armée allemande pendant la guerre. Champion d’escrime de son état, il va alors décider de transmettre son art à une classe de l’Ecole de la petite ville dont il est l’hôte. Dans The Fencer, la Grande Histoire et son souffle tragique rejoint la petite, une histoire d’amour banale mais universelle, dans un film très beau. D’aucun objecteront que le film est un peu à l’eau de rose, qu’il n’offre pas de surprises. Peu importe ces éventuels quelques défauts pour un film qui reste très séduisant, remarquablement bien interprété et qui a le grand mérite de s’intéresser à un sport, l’escrime, rarement montré au cinéma. Il y a aussi une évocation, dans The Fencer, du totalitarisme soviétique très subtile, lorsque notre maître d’armes, tout à sa tâche d’inculquer un art exigeant à ses élèves, est l’objet d’une enquête tatillonne de la part du directeur d’établissement…
 

Avec What’s Between Us de la suissesse Claudia Lorenz, nous sommes à mille lieux du souffle tragique de l’histoire. Ce film, d’une certaine manière est tristement contemporain, parce qu’il a lieu de nos jours, que l’action ne sort pratiquement pas d’un appartement, et que son sujet est la rupture d’un couple. Alice, après 18 ans de mariage découvre que Franck, son mari, a une relation homosexuelle. Nous suivrons les atermoiements de Franck puis la rupture définitive. Ce genre de récit a tendance à passionner le public car il lui raconte sa propre histoire. En effet quoi de plus banal et largement partagé qu’une rupture. Et plus grande est la banalité plus le processus d’identification avec les personnages se trouve facilité. Mais, c’est parfois un peu facile d’utiliser ce ressort et ça ne marche pas à tous les coups. Ce qui compte, c’est notamment comment le réalisateur regarde l’histoire qu’il relate. Le film de Claudia Lorenz est assez intéressant à cet égard, car en filmant un huis-clos (une chambre) elle montre la saturation de l’espace et donc la saturation de l’espace sentimental que le couple a fini par éprouver. La réalisatrice montre aussi l’importance d’Internet dans la vie quotidienne (l’ordinateur est un membre à part entière de la famille). Notons aussi la performance de la jolie Ursina Lardi (Alice), en jeune femme de son temps tour à tour heureuse, malheureuse. What’s Beetween Us est clinique, il nous invite à observer l’explosion d’un couple mais sa réalisatrice réduit les affects à leurs plus simples expressions sans approfondir, ce qui est dommage. Elle montre bien tout de même, en creux, le sort peu enviable des enfants qui dans ces cas-là se retrouvent à regarder les balles passer.
 

Cette seizième édition du Festival du Film d’Arras est une réussite. Autant par son éclectisme que par sa volonté de faire découvrir à son public des cinémas qu’il connaît peu ; à l’instar des films sélectionnés cette année et dont nous redisons le plus grand bien. D’après Eric Miot, Délégué Général, sur les 9 films engagés, la moitié devrait sortir sur les écrans français. C’est trop peu mais c’est déjà ça et sans le travail d’Eric et de son équipe tout au long de l’année pour aller dénicher des pépites, rencontrer les cinéastes, des producteurs, nous n’aurions pas la chance de découvrir ce cinéma venu de l’Est, d’Estonie ou d’Islande qui, cette semaine, nous a tour à tour séduit, instruit, bouleversé, rafraîchi et pour tout dire éloigné avec bonheur un moment d’un certain cinéma nombriliste, commercial et éphémère.

Palmarès :

Jury sous la présidence de Laetitia Masson (Réalisatrice, France) entourée de Antoine Chappey (Acteur,France), Salomé Stévenin (Actrice, France) et Boris Petrovic (Réalisateur, Slovénie)

Atlas d’or / Grand prix du jury
Décerné à
VIRGIN MOUNTAIN (Fúsil) de Dagur Kári (Islande / Danemark, 2015)

Atlas d’Argent / Pris de la mise en scène
Décerné à
THIRST (Jadda) de Svetla Tsotsorkova (Bulgarie, 2015)

Mention spéciale du Jury
Décernée à
HOME CARE (Domaci pace) de Slavek Horak (République Tchèque , 2015)

Mention spéciale du Jury à un comédien
Décerné à
GUNNAR JONSSON (VIRGIN MOUNTAIN) de Dugar Kári – Islande / Danemark)

PRIX DE LA CRITIQUE
Décerné à
THE RED SPIDER (Czerwony Pajak) de Marcin Koszallka (Pologne / Rép. Tchèque / Slovaquie, 2015)

Post-scriptum : C’est le journaliste et critique de cinéma Jean-Jacques Bernard dont nous avons appris la mort brutale jeudi soir, qui avait été un des instigateurs – avec Eric Miot – de faire délibérer le Prix de la critique en public. Formule alors « osée » mais qui est maintenant établie dans une dizaine de festivals en France.
 


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