La vie est un roman…
En 1983, Alain Resnais filmait La vie est un roman. A son tour, Lea Glob avec ce documentaire qui, à l’origine, ne devait être qu’un devoir scolaire d’une vingtaine de minutes, dresse le portrait d’une jeune femme en train de devenir une grande artiste. Cela a commencé par hasard et s’est poursuivi pendant treize ans. Treize années pour faire le portrait d’Apolonia Sokol dont la vie est un vrai roman. Au départ, c’est une école de cinéma au Danemark que fréquente la réalisatrice. Pour son film de fin d’études, elle recherche une artiste peintre. On lui indique les coordonnées d’Apolonia qu’elle interviewe en visioconférence. C’est un monde qui s’ouvre alors à elle, celui d’Apolonia, riche en histoires et en rebondissements. On peut dire que ça fait tilt et, lorsque Lea Glob la contacte à nouveau pour lui demander maintenant un vrai film documentaire sur elle, Apolonia lui dit qu’elle est retournée vivre à Paris chez ses parents, au Lavoir Moderne Parisien qui, dans les années 80, faisait les beaux jours artistiques du quartier Château-Rouge. Elle est la fille des propriétaires du lieu et la réalisatrice ne se le fait pas dire deux fois. Lorsqu’elle arrive à Paris, elle se plante devant la devanture et, ainsi que le lui avait demandé Apolonia, elle met les mains en entonnoir et scande par deux fois son prénom, d’où le titre du film.
Un film voyage
Au cours de ce film voyage, on va suivre les péripéties d’Apolonia et c’est presque, en même temps, l’histoire des mouvements féministes de ces années-là sur une bonne quinzaine d’années qu’on nous raconte. On assiste d’abord aux fastes du théâtre contemporain dans ce petit lieu qui fut, dit-on, le lavoir qui a inspiré à Emile Zola celui de Gervaise dans L’Assommoir ; puis à la séparation de ses parents et à la chute du Lavoir, les poursuites de la municipalité et les tracasseries malhonnêtes des promoteurs qui lorgnent sur le lieu. Le premier étage brûle une nuit et les Femen qu’elle a hébergées un temps ne sont plus les bienvenues. Sauf la fondatrice du groupe, Okasana Shachko, avec laquelle Apolonia restera très liée jusqu’à son suicide tragique.
Un film portraits
« J’aime la narration au cinéma, confie la réalisatrice dans le dossier de presse du film. Beaucoup de films qui m’ont inspirés ont une narration magnifique. C’était donc un choix naturel, mais c’était incroyablement difficile de trouver le bon équilibre dans le film, de ne pas en faire trop, de ne pas être trop simpliste ou trop énigmatique. C’était donc un défi, mais j’adore quand la narration se mêle au cinéma. » Et c’est une très belle histoire qu’elle nous raconte dès le début, avec un genre d’inversion des rôles car, si au début Apolonia passe pour une sorte de loser, sa pugnacité et son talent vont s’imposer. Elle obtiendra un très haut diplôme des Beaux-Arts de Paris et, après bien des échecs, parviendra à imposer ses œuvres – magnifiques – au monde entier et être enfin très cotée, organisant de nombreuses expositions. Tout en restant ce qu’on appelle une « belle personne », douce, élégante et pleine de bonté envers ses proches, notamment la réalisatrice, Lea Glob, dont elle s’est occupée avec tendresse lorsqu’elle a failli perdre la vie en accouchant, alors que, de son côté, Apolonia était très préoccupée par sa propre carrière. Le film, se termine d’ailleurs sur une splendide exposition de l’artiste et, grâce à Andreas Bøggil Monies, Thor Ochsner pour le montage, Anna Żarnecka-Wójcik pour le son et Jonas Struck pour la musique, les belles images de Lea Glob mettent en valeur le monde si particulier d’Apolonia qui va sans doute nous étonner encore et toujours.