A Very Englishman

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Un biopic bien trop prévisible et respectueux des conventions du genre pour vraiment susciter l’intérêt. Winterbottom en panne sèche.

Depuis quelques années, et ce en dépit d’authentiques réussites, Michael Winterbottom donne l’étrange impression d’être en décalage horaire quasi permanent avec les territoires qu’il explore. De la comédie anglaise au thriller sudiste en passant par le drame politique, le réalisateur, prolifique touche-à-tout, est partout. Tant et si bien qu’il semble finalement ne s’attarder que trop peu sur ses films, laissant de nombreux genres en friche. Or, rarement cette dimension lacunaire du cinéma de Winterbottom ne s’était jusqu’à présent révélée de manière aussi tangible qu’avec A Very Englishman. Et si l’on reconnaît ici encore le style inclassable et le choix impétueux qui font du cinéaste le caméléon cinématographique que l’on sait, ce nouveau métrage du britannique renferme néanmoins à peu près tous les écueils possibles de la biographie filmique. Considérant que le biopic est un genre largement dépendant de l’intérêt de la personne – célébrée ou raillée – qui s’y trouve mise en scène, A Very Englishman part mal. Protagoniste principal de l’intrigue, Paul Raymond est une personnalité tapageuse plutôt méconnue au-delà des frontières du Royaume-Uni, à l’inverse par exemple de son contemporain et semblable américain Hugh Hefner.
 
À travers des sentiers très balisés, A Very Englishman relate donc la vie de cet homme d’affaires et imprésario de spectacles érotiques, qui lance en 1958 un club privé dans le quartier de Soho, où font tour à tour polémique puis fureur les strip-teases du "Raymond Revue Bar". Quelques années plus tard, la passion sans borne de Paul Raymond pour les femmes dénudées va cette fois s’exprimer de façon plus populaire encore via le magazine masculin Men Only. Mais si le succès financier est au rendez-vous, il en est tout autre côté vie privée. Après plusieurs divorces, le magnat du sexe ne parvient pas à sortir sa fille Debbie de la toxicomanie.
 
 

 
 
Pour mettre en scène cette descente aux enfers en règle, peu d’ingrédients à la disposition de Winterbottom sinon un cocktail de sexe, de drogues et de rock and roll. Et même si Raymond ne s’identifie pas stricto sensu aux deux premiers ingrédients de l’adage londonien, reste qu’ils permettent pour beaucoup de résumer son existence. Toutefois, aussi libertin et sentimentalement inconstant soit-il, son amoralité l’aura au moins conduit indirectement à amasser une véritable fortune dans l’immobilier tout en bouleversant considérablement l’hypocrisie et la pudeur britanniques. Problème : alors que la portée morale de cette trajectoire hédoniste aurait pu permettre à A Very Englishman de gagner en densité, Winterbottom préfère ne la traiter que subsidiairement.
 
Ainsi, tout n’est dans l’essentiel que prétexte à la représentation cyclique des orgies orchestrées par Raymond. À tel point qu’il en ressort en conclusion pour le spectateur le sentiment que la bacchanale pour existence ainsi que toute forme de toxicomanie mènent irrévocablement à la déchéance. Soit, mais fallait-il digresser pendant 1h40 pour parvenir à un constat aussi convenu ? Et ce sans compter la forme choisie par le réalisateur pour souligner la perte de Raymond, à savoir un retour en arrière à un moment crucial de sa vie – difficile de faire plus conformiste.

 

 
Peut-être aurait-on pu, pour se consoler, réussir à s’identifier à Raymond, somme toute un être assez complexe bénéficiant d’une véritable évolution à mesure que les années passent. Mais cette perspective est remise en cause par la prestation de Steve Coogan qui, à des années-lumière de l’autodérision qui faisait le charme de ses précédentes collaborations avec Michael Winterbottom, est ici bien trop académique. Bien trop loin de l’impertinence qu’il cultive à son habitude, son personnage reste enfermé dans le tragique, à l’exception de quelques imitations amusantes (Sean Connery dans James Bond 007 contre Dr. No (Terence Young, 1962), et cætera) qui trouveront certainement leur place en format court sur YouTube. Résultat : peu de latitude de ce côté pour laisser une chance à la mise en scène de retrouver un souffle salvateur. À trop vouloir rester dans la limite des conventions, Winterbottom signe donc un film pour le moins déséquilibré, où l’actrice Imogen Poots, quelques décors efficaces et une atmosphère 60’s sucrée et désinvolte arrivent tout juste à se distinguer.

Titre original : The Look of Love

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Durée : 101 mn


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