À nos amours

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Le tumulte des émois adolescents selon Maurice Pialat. Intense.

Pialat capture avec une force rare les tumultes de l’adolescence avec cette œuvre poignante où il révèle une Sandrine Bonnaire initialement venue postuler en tant que figurante et qui décrochera finalement son premier rôle au cinéma. Pialat commence par évoquer ce que l’adolescence a de plus beau et candide avant d’explorer les sentiments plus tourmentés de cette période charnière. On débute donc par le versant lumineux : Suzanne (Sandrine Bonnaire), adolescente de quinze ans, s’épanouit en vacances sur la Côte d’Azur, partagée entre esquisses de premiers émois artistiques et surtout amoureux. La sincérité, la curiosité et le goût du défi se disputent à cet âge et lui causeront sa première déception. Amoureuse de Luc (Cyr Boitard), un garçon de son âge, elle se refusera malgré tout à lui pour finalement s’offrir au premier venu, un touriste américain qui la possèdera sans passion et l’ignorera le lendemain. La conscience de ce rendez-vous manqué courra ainsi tout au long du film, où la mélancolie se conjugue au délabrement de sa cellule familiale, marquée notamment par le départ de son père (Maurice Pialat).

 

 

Le début du film expose des relations parents/adolescents à la fois épidermiques et tendres. Si Suzanne soigne son mal-être dans des bras éphémères, le retour au foyer semble toujours représenter pour la jeune fille une certaine forme d’équilibre, en témoigne cette merveilleuse scène intimiste entre père et fille qui fera montre d’une complicité touchante, le jeu très sensible de Pialat se mariant à merveille à la spontanéité des émotions de Sandrine Bonnaire (sa réaction lors de la remarque sur sa fossette). Tout va néanmoins lentement se disloquer avec le départ du père, d’autant que dans le script, celui-ci était supposé être décédé (la remarque de Suzanne sur son œil jaune étant censée servir d’avertissement) et donc joué comme tel par les survivants dont le manque devra se manifester par un désespoir hystérique lors de séquences terriblement intenses. Suzanne semble chercher la protection de ce père disparu à travers ses multiples amants, sa mère (Évelyne Ker) ne sachant pas comment répondre à sa dérive, dépérissant elle-même de sa solitude, son frère (Dominique Besnehard) tentant maladroitement d’endosser ce rôle de chef de famille dans la violence. L’espace scolaire est quasiment absent du quotidien de Suzanne, rythmé de fêtes et d’étreintes d’un soir avec des amants plus âgés. En scrutant le malaise de son héroïne, Pialat illustre égalmement un choc des générations où la libération sexuelle de la jeunesse n’est pas véritablement comprise et mesurée, sinon du point de vue de la morale, par les adultes (la mère apaisée de voir sa fille prématurément mariée, les réactions violentes du frère). Le père incarné par Pialat, méfiant mais compréhensif, s’efface donc vite du récit pour laisser s’installer cette tension. Le film est clairement un anti La Boum (Claude Pinoteau, 1980) de par sa vision crue et brutale de situations souvent voisines. Sandrine Bonnaire démontre d’emblée son grand talent, tour à tour lumineuse (merveilleuse ouverture montrant sa silhouette longiligne et sensuelle à l’avant d’un bateau), masque de tristesse et/ou d’indifférence, trahissant toujours par ces regards une éternelle quête d’affection.

 

C’est dans les moments muets que Pialat saisit le mieux cela, comme lors de cette séquence d’errance urbaine où Suzanne découvre que Luc sort avec une de ses amies. La spontanéité, la recherche de l’inattendu par la constante improvisation provoquée par Pialat, court tout au long du tournage, préparant ainsi les acteurs à l’incroyable scène finale du repas familial : le père ressurgit comme un spectre venu déverser un monceau de reproches sur ce que sa famille est devenue, ces derniers réagissant comme ils le peuvent, taciturnes ou furieux. Le personnage était supposé être mort et la stupeur des acteurs renforce la vérité de la scène face à l’absent, la maladresse, la gêne mais aussi la colère improvisées n’en paraissant que plus vraies. Il en va de même pour l’épilogue où le réalisateur use d’un vrai évènement (les vacances de Sandrine Bonnaire aux États-Unis avec son petit ami) pour nous offrir un final tendre entre Suzanne et son père. Si celui en début de film avait représenté la dernière trace de son enfance, ce dernier échange semble une entrée plus apaisée dans l’âge adulte. Une grande réussite et un des grands succès de Pialat, récompensé du César du meilleur film, du Prix Louis-Delluc et du César du meilleur espoir féminin pour Sandrine Bonnaire.

Titre original : À nos amours

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Durée : 102 mn


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