L’exploit de Willem Dafoe
Film d’une grande beauté plastique – ce qui semble la moindre des choses vu qu’il traite prioritairement de la place de l’art et de la beauté dans notre monde ultra-moderne -, A l’intérieur repose aussi sur la prestation extraordinaire de Willem Dafoe. Venu dans le luxueux penthouse d’un collectionneur d’art new-yorkais pour y dérober une toile d’Egon Schiele, Nemo va y rester prisonnier pendant de longues semaines en raison d’une panne informatique qui l’empêche de sortir de l’appartement. Coupé de tout moyen de communication et, peu à peu, de nourriture et d’eau, Nemo va être obligé de s’adapter pour survivre. Le réalisateur raconte dans le dossier de presse que son film a été tourné en continu ce qui signifie que l’acteur a dû vivre lui-même cet enfermement. Willem Dafoe relate d’ailleurs cette expérience par ces mots, ce qui confère au film une dimension à la fois allégorique et proprement réaliste : « Je me suis laissé pousser les cheveux. Je me suis laissé pousser les ongles. J’étais sale. Je ne me lavais pas les cheveux. J’ai perdu un peu de poids, parce que j’avais conscience de l’évolution de mon personnage. Sa transformation devait être tangible. Chaque jour, je m’endurcissais, je m’enfonçais dans le personnage, dans son corps, dans son apparence, dans son odeur. »
Cage dorée vs cellule de prison
Le spectateur entre avec Nemo dans l’appartement spacieux, lumineux, moderne et empli d’œuvres d’art et il assistera, médusé, à sa destruction puisque son occupant, pour survivre, va se trouver dans l’obligation de détruire des objets, notamment des œuvres d’art pour tenter de trouver une issue, ou pour adapter le réel à ses besoins. A la fin du film, l’appartement est dévasté dans un silence inquiétant qui est celui du personnage pris au piège et privé de tout dialogue et de tout contact avec ses semblables. C’est un film particulièrement réussi qui nous place avec Nemo dans une situation inquiétante qui est celle de notre place dans le monde moderne alors que nous devons tous subir de plus en plus de pressions numériques et médiatiques. Film sans parole, A l’intérieur pose nécessairement plusieurs questions sur notre place, sur celle de l’âme et du corps, et sur notre adaptabilité. « Un regard ironique sur la possibilité que nos cages dorées deviennent des cellules de prison, déclare Vasilis Katsoupis dans le dossier de presse. Une vision brutale du côté sombre du luxe. Une étude sur la perception du monde réel, et comment cette perception peut basculer à la suite d’un stimulus inattendu. Et, enfin et surtout, un point de vue cinématographique sur l’art contemporain, le mode de vie qui lui est associé et sa réelle valeur. »
En compagnie de l’art contemporain
De plus, outre ces qualités, le film pose la question originale de la place et du devenir de l’art dans nos vies. Sans commissaire d’exposition, le film se donne (y compris jusqu’à la fin) comme une galerie dans laquelle les œuvres d’art exposées seraient en danger. Le réalisateur, Vasilis Katsoupis, assisté du curateur d’art italien, Leonardo Bigazzi, a voulu que les œuvres d’art soient réelles et de nombreux artistes ont accepté spontanément de les prêter tout en sachant pertinemment qu’elles pourraient avoir d’autres finalités dans la trame narrative du film. Certaines vont en effet servir à Nemo pour s’adapter à son enfermement ou seront même détruites pour tenter de s’évader, ainsi pour la porte d’entrée qui sera détruite en partie par un Nemo désespéré. Qu’elles soient de Maxwell Alexandre, d’Adrian Pica, de Rayyane Tabet ou de Maurizio Cattelan, toutes les oeuvres ont ici leur importance comme témoins de notre monde civilisé. Film profond, A l’intérieur devrait permettre de faire le point sur le l’art et le monde moderne, ainsi que le réalisateur nous y invite dans le dossier de presse : « Si nos besoins premiers n’étaient pas assouvis, l’art aurait-il autant d’importance ? Que signifie l’art, sorti de son contexte ? Peut-être n’est-ce qu’un symbole, une ombre de la vraie vie à laquelle on choisit de donner de la valeur, sur la base de notre perception sophistiquée ? Sommes-nous capables de sortir du carcan de la perception altérée pour voir une vérité objective ? Dans quelle situation devons-nous nous trouver pour réussir à sortir de ce carcan ? La réponse pourrait-elle résider dans la nature rédemptrice de l’art ? »