9ème Carrefour de l’animation au Forum des Images

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Du 1er au 4 décembre 2011, le cinéma d´animation était à l´honneur au Forum des Images.

Pour sa 9ème édition, le Carrefour de l’animation a souhaité célébrer les créations venues de Pologne et de Tunisie, tout en restant fidèle à ses principes : privilégier un cinéma indépendant, engagé et audacieux. Particulièrement éclectique, cet évènement est chaque année l’occasion de découvrir des courts métrages récents et anciens, des films en avant-première (Crulic, Goodbye Mr. Christie, Tatsumi, A Letter to Momo…), sans oublier les projets de fin d’études des écoles françaises. Le tout pimenté de rencontres, de table-rondes, de conversations entre spectateurs, jeunes talents et artistes reconnus. Retour sur quelques temps forts d’un festival qui fait la part belle aux images dans tous leurs états.


Gros plan sur l’animation polonaise

Le cinéma d’animation est issu d’une longue tradition en Pologne. Aux grands maîtres tels que Walerian Borowczyk (1923-2006) succèdent aujourd’hui de jeunes artistes talentueux. Il était donc plus que judicieux de faire découvrir au public la richesse et l’actuelle effervescence de l’animation polonaise.

Dès le premier soir, les spectateurs ont pu s’en mettre plein les yeux avec la rétrospective consacrée aux étranges – et pourtant superbes ! –courts-métrages de Marek Skrobecki, primés dans de nombreux festivals à travers le monde… et pourtant méconnus en France. Le réalisateur était présent pour commenter son travail, à commencer par ses premiers films, des cartoons produits par le studio Se-ma-for : « J’ai fait ces films sous la pression des producteurs. Je ne renie pas mon passé, mais je me considère comme un artiste qui n’utilise que la marionnette. D.I.M. (1995, ndlr) marque vraiment le début de ma carrière ». En effet, c’est avec D.I.M. que le réalisateur trouve sa propre voie et affirme son univers : deux marionnettes, au corps décharné et à la peau brunâtre, déposent jour après jour quelques graines sur le rebord de leur fenêtre dans l’espoir qu’un moineau daigne les picorer. Lorsque l’oiseau arrive, elles le contemplent, silencieuses et fascinées. Mais un jour, l’animal ne vient pas : les personnages se laissent alors dépérir sur fond de Requiem de Mozart. Comment résumer les œuvres de Marek Skrobecki, si bouleversantes et en même temps si dérangeantes ? D.I.M., OM (1995), Ichthys (2005), Danny Boy (2010)… Film après film, le réalisateur a eu recours à des marionnettes insolites, résidus d’humanité le plus souvent privés de cheveux, de cils, de vêtements. Plus connu pour son travail en tant que chef décorateur du film Pierre et le Loup de Suzie Templeton (Oscar du meilleur court-métrage 2009), Marek Skrobecki méritait amplement sa petite rétrospective.

 
 

Cette découverte de l’animation polonaise s’est poursuivie le 2 décembre, grâce à une projection de films réalisés par de jeunes artistes polonais, suivie d’une « Petite histoire du cinéma d’animation polonais » par Pascal Vimenet. « Il me paraît impossible de rendre compte de l’histoire du cinéma d’animation polonais en 1h30 », a-t-il annoncé de prime abord. « Je préfère vous livrer un sentiment personnel, une intuition : ce cinéma, né après la guerre, s’est focalisé sur la problématique de l’holocauste. Il faut imaginer le paysage dévasté qu’était la Pologne après la Seconde Guerre mondiale. Il y a eu 6 millions de morts. Varsovie était presque rasée. Cela a donné naissance à un cinéma inquiet, pessimiste, où les décors vides traduisent une hantise de la destruction ». Et de conclure : « En même temps, le cinéma polonais, ça ne veut pas dire grand-chose, c’est une réalité abstraite ». Nous voilà prévenus. Pascal Vimenet a ensuite commenté un à un des extraits de films d’animation polonais, tels que L’Oeil et l’oreille de Francizca et Stefan Themerson ou la célèbre Maison de Borowczyk. Ce cours fut pour la centaine de spectateurs présents l’occasion de découvrir quelques grands maîtres du cinéma polonais (dont les œuvres sont quasi-introuvables en France) ainsi qu’une multitude de techniques d’animation.


Hommage à la révolution tunisienne

Quelques mois après le printemps arabe, il aurait été dommage de ne pas s’interroger sur le vent de liberté qui ne cesse de souffler sur le Maghreb depuis décembre 2010. C’est pourquoi le Carrefour de l’animation a voulu rendre hommage au cinéma d’animation tunisien dimanche 4 décembre, au cours d’une table ronde et d’une séance de projections. Jeunes réalisateurs et artistes chevronnés se sont interrogés sur le rôle de l’animation comme moyen de communication complémentaire au dessin de presse. Des créations circulant librement sur youtube ainsi que des films d’étudiants étaient au menu…


Avant-premières

Chaque année, le Carrefour de l’animation projette plusieurs long-métrages en avant-première. Poignants et inventifs, ces derniers n’auront peut-être pas la chance d’être diffusés un jour sur les écrans français.

 
 

Pour la soirée d’ouverture, c’est Crulic, le chemin vers l’au-delà de la réalisatrice roumaine Anca Damian qui a été retenu. Après Valse avec Bachir (Ari Forman) et Les Petites Voix (Jairo Eduardo Carrillo, Oscar Andrade), il s’agit sans doute du troisième documentaire d’animation jamais réalisé. Il retrace la vie de Claudiu Crulic, un Roumain mort à 33 ans dans une prison polonaise des suites d’une grève de la faim. « J’ai découvert ce cas dans la presse en 2008, trois mois après la mort de Crulic », a expliqué la réalisatrice dans un français quasi-impeccable. « Il m’a beaucoup touchée. Sa solitude m’a émue ». Pendant 1h12, la voix de Claudiu Crulic, condamné pour un crime qu’il n’a pas commis, commente avec ironie et humour noir sa lente descente aux enfers. Grâce aux diverses techniques d’animation utilisées (aquarelle, collages, photos découpées), le film parvient à restituer la souffrance du personnage. Sa silhouette s’estompe peu à peu, ne se résumant bientôt plus qu’à quelques traits de crayons. « L’animation permet de toucher davantage le public. On se dit : " ça pourrait être moi " ». Comme Valse avec Bachir, le film se termine par des prises de vues réelles : une conclusion saisissante et engagée, pour dénoncer l’inégalité devant la justice qui perdure aujourd’hui encore en Europe.

Vendredi 2 décembre, c’était au tour de Tatsumi, premier long-métrage d’animation du Singapourien Eric Khoo, d’être présenté au public. Le film revient sur la vie et l’œuvre du mangaka Yoshihiro Tatsumi, véritable pionnier de la bande dessinée japonaise. En faisant alterner des adaptations courtes des œuvres de Tatsumi et quelques épisodes de sa vie, Eric Khoo impose un style graphique atypique, fidèle à l’œuvre du mangaka.


 

Loufoque et déjanté, Phil Mulloy est sans aucun doute l’un des plus singuliers cinéastes britanniques. Good-Bye Mister Christie, diffusé samedi 3 décembre, surprend par son esthétique épurée ainsi que son propos trash et mordant. M. Christie, parfait gentleman anglais en apparence, perd le contrôle de sa vie en rencontrant Ramon, un marin français avec qui il a une relation sexuelle. Lorsque ses ébats sont diffusés à la télévision, M. Christie prend ses jambes à son cou et décide de creuser un trou jusqu’en Australie. Véritable satire de la société occidentale contemporaine, Good-bye Mister Christie n’est que le premier épisode d’un futur triptyque consacré à la famille Christies.
 
Comment terminer en beauté ce 9ème Carrefour de l’animation ? En projetant le second film de Hiroyuki Okiura, par exemple ? A la fois sensible et personnel, A Letter to Momo met une fois de plus en évidence le talent d’Okiura, réalisateur de Jin-Roh et animateur des mythiques Akira et Ghost in the Shell. Ne reste plus qu’à attendre la sortie en France des mésaventures de la jeune Momo, bien qu’aucune date n’ait à ce jour été fixée.


Rencontres et secrets de fabrication

Le 3 décembre, Jean-François Laguionie (réalisateur du Tableau, actuellement dans nos salles) et Guillaume Ivernel (réalisateur de Chasseurs de Dragons) sont venus à la rencontre des spectateurs pour apporter quelques éclaircissements quant à leurs méthodes de travail.

Pour Jean-François Laguionie, ce fut l’occasion de dévoiler les secrets de fabrication de son dernier long-métrage d’animation, qui mêle techniques traditionnelles et numériques. « Je suis tombé complètement fou de cette histoire, a-t-il déclaré. Elle s’adresse aux adultes tout autant qu’aux enfants. Je trouve regrettable que le cinéma d’animation s’intéresse si peu aux adultes, alors qu’ils ont besoin, eux aussi, de voir des histoires merveilleuses ». Un making-of d’une trentaine de minutes a suffi pour prendre conscience du travail titanesque qu’a nécessité le film : écriture du scénario, réalisation du story-board, modélisation des personnages et des décors, doublage, mélange de 3D et de prises de vues réelles, composition de la musique… Le tout pour un budget de quatre millions d’euros. « Ça reste de l’artisanat », a conclue Jean-François Laguionie. Une chose est sûre : Le Tableau est un véritable travail d’équipe. « Nous avions tous envie de faire le même film. En tant que metteur en scène, je dois pouvoir faire confiance aux autres : j’attends qu’ils me fassent des propositions ». Le résultat ? Un film poétique et ingénieux à voir de 7 à 97 ans.

Guillaume Ivernel, le réalisateur de Chasseurs de Dragons, était lui aussi présent au Carrefour de l’animation pour présenter au public son deuxième long-métrage, actuellement en cours de réalisation : Soul Man. Un film futuriste spécialement produit pour la 3D. Le réalisateur en a profité pour montrer aux spectateurs le pilote du film et les premières étapes de son travail (élaboration des décors, des personnages), tout en mentionnant ses références (Jacky Brown, Blade Runner) et en affirmant ses choix esthétique. « Je ne suis pas intéressé par le motion capture. Je préfère travailler avec des animateurs », a-t-il assuré. Il a également choisi de privilégier un public d’adolescents et d’adultes. « Je voulais faire quelque chose de très réaliste, pas un cartoon. Rester dans l’esprit des polars des années 1970 ». Affaire à suivre, donc.

Cette année encore, le Carrefour de l’animation a permis aux étudiants, professionnels et simples curieux de se plonger dans la créativité bouillonnante des images animées. Ce rendez-vous désormais incontournable ne cesse d’évoluer au fil des ans. Que dire, excepté : à l’année prochaine ? 


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