C’est en tant que comic book movie que Wolverine pose problème, précisément là où son projet prétend redorer un blason terni par Brett Ratner et Gavin Hood (et Avi Arad, hein). Adapté (très) librement d’un des story archs les plus populaires des aventures du Wolverine, le film de James Mangold semble n’avoir fait que la moitié du chemin pointé par son alléchante note d’intention. Principal élément en cause, les impératifs contradictoires de la politique cinématographique de Marvel, dont on a vu précédemment les effets sur les divers avatars des Avengers (Joss Whedon, 2012). Mangold veut rendre hommage à Les Sept Samouraïs (Akira Kurosawa, 1954) et au western classique ? On lui accorde une structure qui y empruntera avec de gros éléments de serial, mais en lui interdisant en contrepartie les meurtres hors légitime défense immédiate (voir ce politicien jeté d’un gratte-ciel, geste promptement lénifié par une coupe le montrant tombé dans une piscine, judicieusement placée en contrebas !). De même, ok pour infliger la perte du facteur de régénération de Logan, mais seulement partiellement et sans le mettre réellement en danger dans ce laps de temps, au point que par exemple ses acrobaties sur le Shinkansen, alors qu’il est pourtant diminué, pourraient avoir lieu au pic de ses capacités sans qu’on voie bien la différence… Et ainsi de suite. Cet état de fait semble de plus être au cœur du script, dans la mesure où le facteur auto-régénérant de Logan, au centre de son voyage au Japon et de ses démêlés avec les autochtones, ne fait l’objet d’aucun suspense réel : plutôt que de créer une attente quant à la perte de ce dernier, le récit ne la révèle qu’une fois avérée, joue avec pendant une bobine (Logan a une ou deux gueules de bois après des grosses bagarres et se coupe en se rasant… Quelle aventure !) puis enterre tranquillement l’incident…
On touche mine de rien au problème fondamental que rencontre le personnage au cinéma : s’il est toujours très bien servi par l’interprétation charismatique de Hugh Jackman (qui est fait pour le rôle), il est systématiquement montré au tiers des capacités de son équivalent papier, en état de faiblesse physique ou psychologique, en aporie constante et surtout sans la sécheresse qui en a fait l’icône qu’il est au sein des X-Men. Le Wolverine des comic books est un animal sec et abrupt qui crache des one liners derrière un cigare constamment planté dans sa bouche, et défouraille généralement avant de poser des questions. Pas là pour faire dans le convivial, quoi. Le Logan de pellicule, lui, est parfois pas bien cool parce qu’il a eu des malheurs, le pauvre (et hop, cauchemars et sourcils en accent circonflexe), et une parole gentille ou l’effleurement d’une peau féminine sur sa main le rend invariablement plein de bénignité et de douceur pour les créatures vivantes (sauf les hommes de main, il aime pas trop les hommes de main, qui sont malpolis), qu’il protègera avant de regarder au loin plus ou moins tristement, parce que rappelons-le il a eu des malheurs. Bref, une assistante sociale avec des prothèses en adamantium, ponctuant parfois d’un rare trait d’ironie ses pérégrinations. Ce Logan-ci, disons-le, manque d’animalité, d’agression, de férocité. S’il est bien entendu nettement plus concluant d’un point de vue mythologique que X-Men Origins (Gavin Hood, 2009), ce Wolverine souffre du même manque d’incarnation et de physicalité que le reste des apparitions du héros. Le choix de Mangold, peut-être plus à l’aise dans une vision plus théorique et fonctionnelle de ses personnages (voir le très beau final pirandellien de Identity, 2003), semble confirmer une tendance à ne pas se confronter aux mutants en tant que tels, pour les plier à des schémas – narratifs, mythiques, fonctionnels – qui n’ont finalement que peu de dimension super-héroïque. Si l’impulsion de base de Bryan Singer a permis de faire admettre durablement l’adaptation de comic book comme un genre capable d’aborder des thématiques adultes, ce mouvement est souvent contrebalancé par une négation de l’épisme propre au médium, la notion de splash page se perdant dans les considérations « de proximité » (voir les déconfitures des trois Iron Man par Jon Favreau en 2008 et 2010 et Shane Black cette année).
Ici, ce manque de physicalité donne un déficit d’incarnation assez dérangeant, l’ensemble des notions de caractérisation et de thématiques passant encore une fois (Marvel nous y a habitué) par des dialogues, certains d’ailleurs très bien écrits, comme la définition de Viper par elle-même. Au point qu’on resonge même parfois, avec une pointe d’envie coupable, au charisme animal époustouflant de Liev Schreiber dans l’opus précédent… Pourtant, le film prend toute sa valeur quand il cesse d’avoir le cul entre deux chaises et s’adonne à une chose à la fois : si l’on oublie que tout ceci prend place dans une mythologie X-Men, certaines séquences dramatiques, notamment entre Logan et Mariko, donnent lieu à de beaux moments comme sait les faire Mangold. De même, une fois mise de côté la mise en danger presque inexistante du personnage (dont une auto-chirurgie cardiaque à main nue qui ferait passer pour un documentaire la scène du medipod de Prometheus – Ridely Scott, 2012), les scènes d’action à proprement parler font preuve d’une hargne assez bienvenue dont on aimerait voir ce qu’aurait fait un réalisateur non bridé par le classement PG-13 du projet. Certaines coupes abruptes laissent penser qu’un montage unrated se balade sans doute quelque part… Le bât blesse bien entendu sur le processus qui amène ces scènes, et parmi les influences revendiquées de Mangold pour la caractérisation de son rôle-titre, on se demande souvent s’il n’y a pas le Snake Plissken de Escape from New York (John Carpenter, 1981). Comme l’illustre borgne, il est présenté comme un marginal, que l’on envoie sur une île où littéralement il va être un aimant à violences et à coups durs, quitte à n’avoir qu’à se poser pour attendre la prochaine salve lorsqu’il n’a plus d’idée. Cet accolement des statuts de lonesome cowboy et de punching ball humain, n’ayant besoin que d’être dans la pièce pour être pris à partie, à l’avantage d’alimenter un récit (ici ce sont Viper, Harada et le Silver Samouraï qui sont sur le pont, tous sacrifiés dans un dernier acte d’un vain, d’un arbitraire et d’un expéditif délirants) mais a surtout tendance à trivialiser la férocité du Wolverine de la façon exposée plus haut – comment être agressif et sec quand d’autres vous grillent systématiquement la politesse, ne vous laissant le loisir que de vous défendre ?
Du point de vue mythologique donc, ce Wolverine est au mieux anecdotique : on jurerait qu’il n’existe, du point de vue de Marvel, que pour le fameux post-générique avec sa énième promesse de nous donner enfin les Sentinelles (ce n’est jamais que la quatrième fois qu’on les annonce depuis le Singer), dans un dispositif qui promet un bien bel imbroglio dans la timeline d’ailleurs. Cinématographiquement, on aurait tort de s’arrêter là car Mangold nous offre un bel imagier, émaillé de visions parfois magnifiques (l’immobilisation par les ninjas qui rend enfin son caractère plus grand que nature au récit et au personnage) et qui se permet de développer des idées qu’on n’aurait pas imaginé passer le premier jet de l’adaptation (l’ours, le seppuku). Pour peu transcendant qu’il soit, Wolverine ne doit pourtant pas payer pour un hiatus dont il n’est que l’héritier. Le film qui reste ménage suffisamment de beau moments pour faire oublier certains rendez-vous manqués (on parle de toi World War Z – Marc Forster, 2013). En espérant qu’un montage plus radical redresse un peu le nez de l’appareil en vidéo.