Hélas, cette vitalité est rapidement mise à l’épreuve. Tommy perd une jambe dans un accident et devient la première victime d’un pays qui, au-delà de mettre sa jeunesse sur les routes, l’écorche au plus profond de sa chair. Pour Wellman, c’est la société de l’époque qui fabrique ses propres démons qu’incarnent les visages juvéniles des vagabonds (les hobos) rencontrés par Eddie et Tommy sur leur chemin, chacun d’eux n’ayant d’autre sauvagerie que la volonté farouche de gagner de quoi survivre. C’est bien au cœur de cette noirceur que l’on réalise à quel point Wild Boys of the Road précède le code Hays. Aucune légèreté de ton ici, encore moins d’allusion grivoise, la jeune Sally (Dorothy Coonan Wellman) que rencontrent les protagonistes arbore pantalon et casquette, et sapée comme un homme elle se battra au même titre qu’eux. La saveur Pré-Code du film se loge ici, dans le portrait sans fard d’un pays à l’agonie, s’efforçant de préserver une paix sociale, donc bourgeoise, à grand renfort de matraques policières.

De Cleveland à New York, la fatalité trimballe ainsi les personnages de l’exil au tribunal. Leur déchéance semble inéluctable jusqu’à ce qu’un retournement ne vienne casser cette marche funèbre pour laisser présager un dénouement heureux. Eddie, Tommy, et Sally. Le trio s’en sort finalement et la vie regagne du terrain, in extremis. Tous trois laissent exploser leur joie et dans une scène finale tout à fait bouleversante, on réalise à quel point chacun des deux amis n’a jamais vraiment regardé Sally et n’a eu d’yeux que pour l’autre. Un ultime échange de regards, un rapprochement d’une grande tendresse, il y a dans ces derniers plans toute la force du film, toute son audace aussi : on jurerait que le happy end est en passe d’être consommé sous nos yeux.