Vicky Cristina Barcelona: un guiri de luxe dans la capitale catalane

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Après sa <> anglaise (Match Point, Scoop et Le rêve de Cassandre), Woody Allen revient avec une distrayante comédie où il échange le froid et les brumes de ses anciennes réalisations contre le soleil et l´insouciance espagnols. Un sujet qui lui est étranger et qu´il ne réussit à investir que de l´extérieur…

Je n’ai jamais vécu à New York. Ni à Londres. Mais le sentiment qui émane des films de Woody Allen tournés dans ces grandes villes est celui de la découverte juste d’un véritable esprit des lieux. Pas seulement de l’image que les mégalopoles transmettent à l’extérieur, mais d’une ambiance omniprésente qui déteint insensiblement sur le caractère de tous les personnages. Cela fait presque 20 ans que j’habite à Barcelone et il semble évident que cette finesse psychologique est absente de Vicky Cristina Barcelona, le dernier film du réalisateur américain, tourné dans la capitale catalane.

Il est vrai que le film annonce la couleur dès la première scène où le spectateur comprend que Vicky (Rebecca Hall) et Cristina (Scarlett Johansson), sont deux touristes venues d’outre-atlantique pour passer l’été en Catalogne. Et, fidèle à son hypothèse de départ, Woody Allen filme la ville comme un vrai guiri (surnom que l’on donne en Espagne aux touristes), de luxe. Ce n’est pas Barcelone de l’intérieur que l’on voit à l’écran, mais une suite très bien agencée de cartes postales commerciales de la ville. Si le gouvernement local avait voulu faire une vidéo promotionnelle, il n’aurait pas fait mieux. Toute l’œuvre de Gaudi (Sagrada Familia, Parc Güell, Casa Batlló…) y passe, suivie du Parc du Tibidabo, de la Fondation Miro ou de la Rambla de Catalunya. Notons au passage que ce ne sont même pas les nouveaux espaces touristiques qui apparaissent (on pense à la nouvelle Torre Agbar ou au Musée d’Art Contemporain, le Macba), mais les références les plus classiques et stéréotypées. On pouvait espérer une belle scène au milieu des chaotiques Ramblas, on n’aura qu’une conversation piquante dans un bar du coin.

Il est évident que Allen porte un regard émerveillé sur la ville, lui donnant presque le statut de catalyseur des relations que les personnages tissent entre eux. Il trouve quelques plans magnifiques et érige une ambiance de douceur romantique qui sied parfaitement à son sujet. Reste que cette image, pour un habitant de Barcelone, peut sembler une pâle caricature en carton-pâte. Suinte l’étrange impression que le spectateur se trouve dans le Bus Turistic de la ville, écoutant la voix off du film comme qui écouterait les explications du guide. Parions que la mairie fera bientôt un parcours «Woody Allen»…

C’est normal, le film raconte le voyage de deux étrangères pendant l’été, me direz-vous. Et c’est vrai. Sauf que la légèreté dans l’approche de l’espace signifie souvent une superficialité des personnages tant les lieux s’imbriquent dans les psychologies chez Allen (comme le montre bien l’article de Clémence Imbert). Ici, comme ailleurs et comme toujours, pourrait-on dire, on assiste encore aux déboires amoureux de deux couples avec, comme toile de fond, l’éternelle question du mariage, de la loyauté et de l’infidélité. Une thématique très chère au réalisateur de Annie Hall qui devrait, pour surprendre et intéresser, se renouveler.
Mais si les intrigues raffinées et machiavéliques de l’aristocratie londonienne pouvaient apporter une vision désaxée et plus ludique de ce thème ressassé à souhait dans ses films antérieurs, Woody Allen peine énormément à trouver la clef en ce qui concerne le fougueux couple Bardem-Cruz. Car, si on pardonne la banalité des «doutes existentiels» des deux touristes américaines sous prétexte de parenthèse estivale, c’est beaucoup plus dur pour les personnages espagnols, censés fournir un réel intérêt aux questionnements amoureux et érotiques déployés par le réalisateur.

 

Malgré l’excellente interprétation des deux acteurs espagnols (qui jouissent des rares répliques amusantes du film), le scénario décousu et la légèreté de la mise en scène font que l’on ressort du cinéma aussi ignorant qu’avant sur les ressorts de l’amour (faute grave chez Allen…). Car, en fait, Juan Antonio (Javier Bardem) et Maria Elena (Penelope Cruz) sont dépeints de la même manière que l’est la ville. Comme des clichés surchargés, définissables par deux ou trois traits grossiers. On ne saura par exemple jamais rien des subtilités du couple ibérique, si ce n’est le trivial «on ne peut être ensemble et on ne peut être séparés». Pas plus qu’on ne comprend le vrai rôle de Cristina dans la stabilité du couple, son départ soudain ou les raisons qui poussent Vicky dans les bras de Juan Antonio (si ce n’est une nuit saturée de banalités éroticos-romantiques que Vicky abhorrait quelques heures avant). Une dichotomie simpliste entre la prétendue sensualité irréfléchie et irresponsable du sud, face à la supposée maturité et monotonie du nord. Sans oublier la femme «sensible» (qui pleure en écoutant la guitare), mariée à l’américain matérialiste de base (qui ne parle évidemment que d’ordinateurs et de maisons), la thèse en culture catalane (résumée à Gaudi et sans un mot de catalan tout au long du film), la musique flamenca si peu catalane…autant de caricatures qui transforment une virtuelle palette de sentiments en ratures approximatives esquissées à la va-vite.

Les clichés défilent aussi vite que le film s’embourbe. Après les hordes de jeunes fêtards à la recherche de leur chimérique Auberge Espagnole, il ne serait pas étonnant de voir les bars barcelonais se remplir de dragueurs tentant leur chance avec des couples de jeunes femmes à la façon de Bardem avec Vicky et Cristina. Même les prostitués du quartier populaire du Raval deviennent un sujet d’étude lors d’une promenade des deux jeunes touristes.
Si le cinéaste new-yorkais excelle à rendre les subtilités de la psychologie d’un intellectuel névrosé et cérébral de Manhattan, il semble perdu face à des personnages plus impulsifs et irréfléchis. Un peu comme si Bergman dirigeait une comédie musicale, Antonioni un vaudeville ou Lynch un film à l’eau de rose. C’est que Woody Allen ne semble malheureusement pas investir l’âme du couple Juan Antonio-Maria Elena, qui seul pourrait donner du relief aux problématiques banales des américaines (me marie ? me marie pas ?). Tout comme il n’investit pas le cœur de Barcelone, présentée comme un cadre irréel où venir se perdre parmi des aliens qui servent assez bien de cobayes.

Ce n’est peut-être pas une coïncidence. Rappelons que le film a été largement subventionné par le gouvernement autonomique catalan et asturien, ainsi que par les mairies de Barcelone et Oviedo (fait largement critiqué de l’autre côté des Pyrénées). L’escapade du trio semble par ailleurs un clin d’œil au prix Principe de Asturias décerné par l’Espagne au réalisateur en 2002. Sans oublier que le film est produit en grande partie par Mediapro, une maison de production catalane. Autant de facteurs qui facilitent un douteux mélange entre art et politique avec ce résultat bancal. A l’avant-première du film, on a pu voir les grandes personnalités culturelles, politiques et sociales du microcosme barcelonais. Parmi elles, il y avait de nombreux artistes et admirateurs du cinéaste new-yorkais mais, plus surprenant, une belle palette d’hommes politiques présents au rendez-vous. Pour ne citer que les plus grosses pointures: l’actuel président de la Generalitat, José Montilla et… l’ancien, Pasqual Maragall; la ministre espagnole de la Défense, Carme Chacón; et les principaux leaders des grands partis en Catalogne, Miquel Iceta (PSC), Daniel Sirera (PP) et Artur Mas (CiU).

C’est peut-être pour cela que l’impression qui reste est que le réalisateur a survolé le film, faisant de Barcelone un lieu de passage et glissant sur la profondeur possible des personnages. De Vicky et Cristina car elles ont vécu, au final, un interlude futile et contingent. Mais surtout de Juan Antonio et Maria Elena qui se sont bornés à être une caricature d’eux-mêmes. Une image en deux dimensions, résumée et simplifiée, de la complexité du réel. Une carte postale, en somme.

Titre original : Vicky Cristina Barcelona

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