Une vie

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Cinéma lancinant.

Le bas bouffant de la robe de Jeanne Le Perthuis des Vauds est humide et sale de la terre du potager. Le vêtement caresse le sol, les tâches n’altèrent pas la pureté de sa parure tandis que la jeune femme passe l’arrosoir sur les plantations de la propriété familiale, accompagnée de son père. Métaphore prémonitoire, cette séquence fragile et sensible ouvre le film de Stéphane Brizé, adapté du premier roman de Maupassant, Une Vie (1883) qui raconte le destin malheureux d’une femme candide issue de la noblesse normande du XIX° siècle

 


Portrait de femme

Judith Chemla prête son jeu sincère, une palette créatrice secrète et riche au personnage de Jeanne Le Perthuis. Enserrée dans le format 1.33, la caméra l’enveloppe ou la malmène dans les épreuves qu’elle doit affronter au long de sa vie : les tromperies à répétition de son mari Julien de Lamare et plus tard de son fils, Paul, qui la ruine. Caméra à l’épaule, l’image l’enferme comme dans un médaillon, la suivant de jeune fille pure au tempérament enfantin jusqu’à sa prise en charge par son ancienne domestique, Rosalie, dans un effritement désillusionné au long cours.

Le long métrage se construit à partir d’allers retours dans le temps, entre flashbacks et flashforwards, donnant à voir Jeanne au fil de sa vie puis en vieille dame fanée et abandonnée ; les ellipses fonctionnant comme autant d’images mentales de la pensée de Jeanne, de joies débutantes et de relents insupportables, quand ces derniers ne se manifestent pas par de longues séquences à la fixité gênante. L’écoulement du temps, comme de la douleur, répond aux décors : la vieillesse des corps accompagne la détérioration de la nature, la suppression du potager lumineux du début au profit de falaises normandes austères et fissurées.

 


Un regard dégoulinant

De cette existence enchaînant les désenchantements odieux, Stéphane Brizé tire une œuvre dont la sensibilité s’avère d’une commisération insidieuse – la couardise du père, le délaissement de la mère, les gros plans sur le visage d’une Jeanne abîmée. Il y a dans son cinéma comme un regard dégoulinant sur toutes les situations insupportables vécues par les humanités qu’il filme : c’est l’insistance des heurts relationnels étouffants entre une mère qui va mourir et son fils, dans Quelques heures de printemps (2012), ou le chien adoré que le personnage d’Hélène Vincent fait crever pour attirer l’attention du même fils ; c’est l’enfant handicapé du chômeur Thierry dans La Loi du marché (2015). Stéphane Brizé appuie sur les sujets qu’il met en scène, les prive de tout soulèvement en les vidant progressivement de la vitalité de leur âme sous couvert d’une hypersensibilité et d’approches poétiques feutrées. Une douleur assenée comme une série de petits coups de couteau touche Une Vie, des notes de clavecin organisent ce processus de flagellation autour de Jeanne, affligée comme une Médée lancinante, où seuls les objets paraissent épargnés : des plans de bougies ou de vaisselles, ici et là capturés par l’esthétique diaphane évoquent un tableau de Chardin. Hélas, les êtres humains du film de Stéphane Brizé ont le corps et le cœur trop ankylosés pour respirer et donner du souffle au spectateur.

Titre original : Une vie

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Durée : 119 mn


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