Contrainte de délaisser l’appartement familiale après une dispute avec sa mère, Negar erre une nuit entière dans les rues de Téhéran. Au fil des heures, elle va être prise en auto-stop par trois hommes. Chacun dévoilera sa vie sentimentale permettant une réflexion sur les relations hommes-femmes. Ce premier film dramatique de l’actrice iranienne Niki Karimi prouve qu’on peut aborder le sujet du droit de la femme dans les pays islamiques tout en gardant ses distances.
Une Nuit étonne dès la première image : introduit dans l’intimité de Negar, jeune étudiante iranienne, le spectateur devient le témoin d’une dispute entre une mère et sa fille. La mère demande à sa fille de quitter l’appartement et de la laisser seule avec son amant. On suit le personnage et on sort aussi vite qu’on est entré. Que faut-il penser ? Enième film sur la relation mère-fille et sur l’adultère ? Partant d’un supposé banal par l’éternelle démonstration amour-haine de ces rapports, l’intérêt intrinsèque est plus complexe et va au-delà d’un simple conflit relationnel.
Point de départ à l’histoire, cette dispute dissimule en réalité un problème grave et tabou en Iran : les relations hommes-femmes et le statut de la femme. D’abord déçu par une réalisation qui semble trop figée, on devient vite capté voire époustouflé par sa maîtrise et sa subtilité. Les plans fixes tendent à la suggestion tandis que les alternances répétitives entre plans d’ensemble extérieurs et plans rapprochés des trajets en voiture structurent le film. Negar erre, rencontre un homme, parcours la ville en écoutant ses propos et le quitte. Intercalés entre ceux-là, la réalisatrice filme l’errance de Negar dans les rues de Téhéran : le spectateur possède alors un temps de réflexion face aux propos précédents. Ce schéma récurrent et cyclique devient vite la métaphore de la condition de la femme : emprisonnée dans un cercle sans fin, elle erre à la recherche d’un échappatoire, et aussi de réponses. La ville n’est plus un lieu de refuge mais un endroit qu’on essaie de fuir. Accompagnée par une musique lourde et pesante, dans une nuit sans lune (est-ce à dire sans espoir ?), la réalisation est brillante et amplifie le malaise de la société iranienne.
Malgré la variété thématique (corruption, adultère, jeunesse sans espoir, mensonge,…), le sujet principal du film reste la question de la femme. Traité de façon progressive, ce sont les discussions avec les trois hommes qui offrent un éclairage sur ce problème multiple et complexe. Grâce au premier personnage, la réalisatrice explique le droit à la polygamie. Le marchand d’Ispahan défend ce droit qu’il trouve naturel. L’angoisse se lit sur le visage de Negar qui demande expressément de sortir de la voiture. Le deuxième prouve que l’homme peut être raisonné. Celui-ci, après avoir été déçu, s’aperçoit que seul le destin mène la vie des humains et qu’aucun ne peut prendre le contrôle sur l’autre. Transition avec le dernier, la liberté, qui semblait être la solution, devient une erreur : cet homme ayant suivi le modèle occidental tue sa femme qui l’a trompé.
Polygamie, fidélité, liberté, soumission de la femme, le débat est lancé ! Au regard de cette analyse des rapports hommes-femmes iraniens, le spectateur occidental reste pessimiste et perplexe. Le seul espoir est peut-être la route empruntée par l’héroïne. Mais saura-t-elle montrer le chemin de la liberté, ou se révèlera-t-elle n’être un circuit fermé? Finalement, la raison reprend le dessus. L’amour ne peut pas être régi par des lois, aussi bien dans la passion que dans la folie. Il est dans la nature et reste imprévisible, compliqué. Morale simple mais rudement importante car incomprise en Iran.
Alors que le sujet est devenu une préoccupation internationale, on est cependant déçu par le manque d’engagement de la réalisatrice. Jeune femme iranienne, on aurait préféré qu’elle fasse de son héroïne sa porte-parole. A l’inverse, Negar reste passive, simple destinataire des paroles des hommes. Elle répond poliment et évasivement au premier, partage discrètement l’avis du second et accorde subrepticement sa confiance au dernier avant de se dérober. Le spectateur ne capte aucun sentiment et reste témoin d’un sujet grave, sans pouvoir s’immiscer dans le personnage et ainsi entrer dans la fiction. Peut-être est-ce là la dénonciation de l’immobilisme de la jeunesse iranienne, ayant peur de bousculer les mœurs et de s’engager. Cela se ressent aussi dans la façon de filmer les scènes en extérieur où l’action principale est toujours hors-champ.
Huis clos temporel à l’atmosphère lourde et pesante, Niki Karimi aborde un sujet difficile et fondamental. Filmé sans autorisation, Une Nuit permet une incursion dans la société iranienne à travers la condition de la femme, mais manque d’énergie et d’engagement.