Une Famille syrienne

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Partagées entre fuir et rester, trois générations emprisonnées dans leur foyer affrontent la guerre.

Quel quotidien en temps de guerre ?

Les films de guerre sont abonnés aux gros moyens : armes rutilantes, cris terribles, torrents de sang. Les films d’actualité préfèrent les poncifs : une référence par-ci à un événement, des appuis par-là au pathos des faits. Rien de tout cela dans ce film, présenté au Festival du Film Francophone d’Angoulême et au Festival International du Film de La Rochelle ; couronné de succès lors du Festival international de Pékin (Meilleur Scénario), du Festival du Film de La Valette (Prix du Public et Prix du Meilleur Réalisateur), ainsi que de la 67° Berlinale Panorama (Prix du Public et Prix Label Europa Cinemas). Ce succès, amplement mérité, tient à la prouesse de nous plonger dans la fureur de la guerre, sans quasiment nous en montrer une image ; dans le quotidien d’une famille – de n’importe quelle famille –, dans ce qu’il peut avoir de plus banal, tramé par l’horreur d’une guerre.

De n’importe quelle guerre ? Si les factions ne sont pas clairement identifiées (seule la fin du film précisera les liens de la famille avec la résistance à Assad), le film a été à Beyrouth, le « jardin » de la Syrie. Une famille, donc, piégée par les bombardements, sans cesse sous la menace des snipers, survit, tapie dans son appartement. Philippe Van Leeuw jette une lumière crue sur les efforts du quotidien, sans cesse à répéter, pour une guerre qui n’en finit pas : lutter contre le manque d’eau, qui conduit chacun à rogner sur son hygiène et, ce faisant, sur sa dignité ; la promiscuité qui interdit l’intimité ; l’ennui. Surtout, affecter la normalité, comme si rien de grave ne se passait – mettre la table, aider le benjamin de la fratrie dans ses exercices de géométrie, poursuivre des amours adolescentes – alors même que chaque heure qui passe est une heure gagnée contre la mort à l’œuvre. Ces effets de réel conduisent le spectateur à s’interroger : « comment réagirais-je à leur place ? comment ferais-je pour tenir ? » ; exercice de pensée rendu d’habitude stérile par le traitement médiatique.
 


Unité de lieu, de temps, de femmes

Unité de temps : une journée. Unité de lieu – un huis-clos dans un appartement calfeutré, sans cesse à laver, poussière des bombardements faisant. Si, en réalité, il n’y a pas une mais deux familles – celle sous la houlette de Oum Yazam accueille, par solidarité, un couple (Halima et Yazan) ainsi que leur nouveau-né ; ces deux familles ne font qu’une à l’épreuve du conflit. Il s’agit toutefois moins d’une unité de famille que d’une unité de genre : en l’absence de leurs époux, ce sont les femmes qui mènent le groupe. Face à la violence des hommes, les femmes répondent par d’autres expédients, comme saura le montrer la scène du viol, magistralement tournée. L’unité de ces deux femmes ne tient pas seulement dans le genre, mais aussi dans le secret : dès les premières minutes, Yazan est abattu par un sniper, ce que Oum Yazan s’évertuera à cacher à Halima.

Pourquoi tenir tant à rester dans cet immeuble, s’il est en proie à tous les dangers ? La mère-courage, remarquablement campée par Hiam Abbass, nous livre la réponse au détour d’une phrase, pourtant jetée de façon anodine : « Moi je suis née sans maison. Personne ne me fera partir d’ici. » Cette ancienne réfugiée palestinienne a construit son espace de vie dans cet appartement, avec son mari, ses enfants : c’est son œuvre, et elle la défend. Plus peut-être qu’un cri d’alarme pour la Syrie, ce film dévoile la noblesse de la femme arabe, dans ce qu’elle endure de souffrance et oppose de résistance. Noblesse qui ne va pas sans autorité : la matriarche Oum Yazan, inflexible, tendrait presque à être masculine (patriarcale ?) face à Halima (l’actrice libanaise Diamand Bou Abboud), ses filles, et sa domestique Delhani, immigrée venue d’Asie du Sud (Juliette Navis).
 


Une chorégraphie savamment filmée

Philippe Van Leeuw n’en est pas à son premier coup d’essai : il a réalisé en 2009 son premier long métrage, Le Jour où Dieu est parti en voyage, film poignant peignant les derniers jours d’une femme tutsi lors du génocide de 1994. En parallèle, il poursuit depuis vingt ans une carrière de directeur de la photographie. Sans doute a-t-il alors développé l’art de filmer les mouvements des personnages, tant ils filent, à travers l’appartement, une chorégraphie convaincante. La caméra à l’épaule permet, non seulement la fluidité des scènes, mais la capture du réel, du quotidien : les mouvements de caméra donnent corps à l’urgence dans laquelle se trouvent les personnages, leurs constantes interactions. Le choix judicieux du plan séquence renforce l’impression de « temps réel », la sensation « documentaire » du film.

On regrettera simplement quelques métaphores appuyées, comme celle du viol de Halima (la Syrie ?) tandis que le reste de la famille, réfugiée dans la cuisine, se révèle impuissante (la communauté internationale ? nous-mêmes ?). Cela étant, ces petites insistances n’enlèvent rien à une mise en scène sans faute, qui répond avec brio à l’ambitieux dessein de nous rendre la Syrie, en dépit des distances, plus proche ; en dépit des horreurs, plus humaine.

Titre original : Insyriated

Réalisateur :

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Durée : 86 mn


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