Turbo

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Un film d’animation raté et radotant, doublé d’un message au goût amer. Dreamworks au plus bas.

Depuis quelques années, Dreamworks n’a d’yeux que pour les animaux et les monstres. Après avoir mis en scène pandas, souris, lions, zèbres, abeilles, dragons, chats et autres ogres verts éructants, le studio s’attaque cette fois au cas de l’escargot. La recette, éternelle variation sur la construction de l’être et prétendu vecteur d’identification pour l’enfant, ne change pas : le personnage principal, héros en devenir, va devoir affronter un certain nombre de péripéties pour espérer se révéler au monde. Au programme du pseudo parcours existentiel de Théo l’escargot, donc, des rencontres qui se veulent hors normes, un quota d’humour qui tâche et quelques rebondissements. Une mécanique compassée cependant plus rouillée et dérangeante encore qu’à l’accoutumée, avec Turbo.

Ici, hormis des séquences de course en 3D tout juste aussi trépidantes qu’un Grand Prix de Formule 1 à la télé, le spectacle est inexistant. Le scénario, pâle copie lénifiante du mièvre mais pas déplaisant Rasta Rockett (John Turteltaub, 1993), n’est quant à lui pas en reste. Et côté animation, plus balourde encore que dans les précédentes productions Dreamworks, Turbo pêche par son incapacité à insuffler un semblant de vie à ses personnages et environnements. L’occasion de rappeler une nouvelle fois le manque chronique d’inspiration du studio, plus loin que jamais de la réussite de Pixar. À noter toutefois que la tentative d’anthropomorphisme des arthropodes, simple mais plutôt efficace, permet néanmoins à l’ensemble d’éviter le naufrage total, du moins sur le plan de l’animation.

 

 

Mais le plus troublant dans Turbo ne se situe pas tant au niveau de sa forme, aussi impersonnelle soit-elle, mais dans l’idée qu’il diffuse en filigrane. Sous couvert d’une glorification de la différence et du particularisme de chacun – les personnages-clés ont pour la plupart été ostracisés de leur milieu d’origine compte tenu de leur « marginalité » -, le film construit en réalité un dispositif où le désir de reconnaissance des exclus va petit à petit se muer en quête de la performance, de la renommée et de l’argent – et ce sans contrepoint. Une dynamique dérangeante mise en évidence par les destins croisés de Théo et de Tito : le premier, après être tombé dans un réservoir de nitro, se retrouve doté de super-pouvoirs lui permettant d’atteindre une vitesse hors normes et ainsi de dépasser sa condition d’escargot, tandis que le second, vendeur de tacos latino-américain, va utiliser l’arthropode afin d’attirer de nouveaux clients et sortir son commerce de la léthargie. L’opportunité rêvée pour échapper à sa condition sociale.

« Il y a l’espoir de devenir et le courage d’être », dit Théo au début du film. Comme Rasta Rockett, Turbo remet en question les possibles. À l’image du parcours des Jamaïcains quittant leur Kingston natal pour le Calgary enneigé des WASP et les joies du bobsleigh, Théo quitte sa communauté d’escargots pour devenir un pilote de course aussi célèbre que son idole Guy Gagné. Mais contrairement au film de Disney – les Jamaïcains ne gagneront pas la course -, pas de retour à la réalité dans Turbo : le milieu social d’origine, représenté comme un espace aliénant et monotone n’offrant aucune porte de sortie, est bel et bien déserté. Et tant pis pour les congénères luttant pendant ce temps contre les prédateurs – les morts quotidiennes des escargots font ici office de gags – pour préserver leur peuple et leur habitat. Consciemment ou non, c’est bien la réactualisation de l’American Dream et de l’idée du self made man qui prévalent dans Turbo.

 
 
 

Et même si Tito retourne finalement s’occuper de son restaurant de tacos, ce n’est pas sans avoir bénéficié au préalable du succès de son faire-valoir l’escargot et après avoir laissé son frère gérer un temps seul et sans un sou leur commerce. La célébrité de son ami captif Turbo, rendue possible grâce à la somme qu’il a investie pour qu’il participe à la course, lui permet ensuite quoi qu’il en soit de bénéficier d’une nouvelle clientèle, simple retour sur investissement. Comme message véhiculé dans un film d’animation, il y a mieux… Enfin, derrière l’apparent éloge de la différence, de l’acceptation de l’autre et de l’hybridation du corps, le film n’expose en définitive qu’un tissu de personnages stéréotypés – en particulier les escargots tuning laissés-pour-compte se réfugiant dans la course – pour qui le besoin de distinction est surtout social, et la « customisation » du corps une affaire de performances, et donc de domination. Exit la conscience de classe, et longue vie à l’individualisme. Drôle de programme.

Titre original : Turbo

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Durée : 96 mn


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