Tue-moi

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Sur le thème des enchaînés, un « road movie » met en scène un homme blessé et une ado qui veut mourir. Résultat : un beau film délicat et puissant, qui donne envie de vivre, justement en dépit de son titre.

Frédéric Videau vient de donner le ton par son style épuré et délicat avec À moi seule, film sur la séquestration d’une jeune fille. Aurait-il lancé la mode ou tout simplement senti l’air du temps ? Emily Atef, pour son troisième long métrage, réussit quant à elle un film au titre provocateur, Tue-moi. Variation à son tour sur le thème de la prise d’otage, mais pas de réflexion ou d’élucubration sur le thème du syndrome de Stockholm non plus. D’habitude, on a plus l’habitude de demander à quelqu’un « aime-moi » ou encore « protège-moi ».

Ici, foin de l’amour même si la demande n’est en fait qu’un désir d’être aimée. Adèle, magnifiquement interprétée par Maria Dragus qu’on a découverte dans Le Ruban blanc de Michael Haneke, veut mourir. On ne saura jamais vraiment pourquoi, elle qui vit à la campagne, petite vachère fascinée par l’appel du vide à la manière d’Empédocle qui voulait se jeter dans le volcan ou, plus près de nous, du poète autrichien Hugo von Hofmannsthal dont le fils cadet s’est défenestré. À la différence qu’ici, la protagoniste n’a que 15 ans et le film commence, alors qu’elle garde son troupeau de vaches et qu’elle en a perdu une, sur une image fort saisissante, pour nous qui avons l’habitude d’en avaler chaque jour des millions. Frêle enfant blond qui se penche sur le précipice mais n’ose s’y jeter, comme si un ange gardien invisible veillait sur elle comme dans ces chromos religieuses kitsch du début du siècle.

Au moment où un homme qui vient de s’évader de prison où il était emprisonné pour le meurtre de son père se réfugie dans la ferme de ses parents, Adèle sera presque heureuse d’être prise en otage et, dans un premier temps, d’accepter de le cacher. Cet homme deviendra en fait son ange gardien, en tout cas un substitut de père ou de grand frère, surtout au moment de cet étrange road-movie qui va en découler. On ne sait plus alors qui est captif tant les liens qui se tissent entre ces deux grands blessés de la vie sont faits d’une même matière, non pas celle des songes chère à Shakespeare, mais celle de l’amour universel qui pousse des individus malheureux ou solitaires à s’aider et à se protéger mutuellement, quand la haine n’est pas encore installée.

La haine ne sera pas au rendez-vous ici, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais Emily Atef a bien pris soin de montrer qu’il n’y avait non plus aucune ambiguïté dans la relation qui unit cet homme déjà mûr, marqué par la vie, et cette frêle adolescente qui se montre plus forte que lui par moments. C’est pourquoi, pour appuyer son propos, elle a choisi de montrer Timo, son protagoniste masculin, dans une relation sexuelle furtive, et cependant assez improbable, au cours de leur voyage vers Marseille. Cette course vers le soleil comme pour échapper aux rigueurs septentrionales est bien sûr une métaphore de l’envol vers la Méditerranée, cette mer-mère censée permettre de fuir, de se surpasser. Mais aussi d’évoquer parfois l’aventure de Roberco Zucco – dont la pièce que Bernard-Marie Koltès lui a consacrée a marqué l’imaginaire d’Emily Atef au point qu’elle veuille s’en inspirer pour ce film, la violence en moins – qui n’est rien moins que l’illustration d’une histoire d’amour impossible et démesurée entre deux êtres que rien, sinon le hasard, ne prédisposait à se rencontrer.

Emily Atef le constate elle-même lorsqu’elle déclare dans l’entretien sur le film : « Cette fille arrive à avoir des échanges humains avec un type, pourtant clairement fou, juste parce qu’elle n’a pas peur de la mort. » En effet, il ne faut pas avoir peur de la mort pour entrer de plain-pied dans ce genre d’aventure nihiliste et jusqu’au-boutiste. Adèle a aussi la force de l’amoureuse de Roberto Zucco ; Timo l’énergie du désespoir. Lorsqu’elle lui demande de la tuer en échange de l’aide qu’elle lui apporte pour s’échapper, il refusera bien sûr. Preuve qu’il s’agit déjà d’une forme d’amour entre ces deux êtres égarés. C’est lorsqu’il lui coupera les cheveux au cours de leur périple qu’il accomplira un geste de grande force rituelle, proche de la mort sublimée. Et à la fin, en lui donnant la main pour entrer dans le bateau du port de Marseille qui va leur offrir une nouvelle vie (mais jusqu’à quand ?), l’histoire se transforme en amour partagé. Un très beau film délicat et puissant, qui donne envie de vivre, justement en dépit de son titre.

À lire : l’entretien avec Emily Atef.

Titre original : Töte mich

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Durée : 91 mn


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