Tsar

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Sujet à polémique sur la monarchie et la cruauté d´Ivan le Terrible en Russie, Tsar de Pavel Lounguine dépeint le XVI siècle avec une extrême justesse et une grande violence.

La figure du premier Tsar de Russie Ivan IV Vassiliévitch, dit « Ivan le Terrible » est restée assez énigmatique dans l’histoire. Glorifié et respecté, ce dernier est considéré comme un talentueux gouverneur qui a réussi à unir les différentes régions de la Russie. Pourtant ses méthodes, basées sur la terreur et la torture, étaient d’une extrême cruauté. Malgré son image de saint mystique accomplissant l’œuvre de Dieu sur terre, les résultats de son règne furent déplorables, raconte Alexander Dvorkin, conseiller historique sur le film. Par ailleurs, Lounguine ajoute qu’Ivan a bloqué la Renaissance russe et a laisseé baigner son pays dans la barbarie du Moyen-Âge.

La segmentation du film en quatre parties (prière, guerre, colère et divertissement du Tsar) agence la structure par rapport aux activités d’Ivan IV, pôle central du film. L’action se déroule dans son palais où, pieds nus avec sa robe élimée, il prie les cieux pour qu’ils lui envoient Philippe, son ami d’enfance. Il espère que celui-ci prendra la place de métropolite, lui permettant ainsi de poursuivre « son œuvre » tout en ayant sa bénédiction.

 

Philippe constitue le deuxième pôle du film. L’interaction entre Ivan et Philppe, ainsi que leurs batailles intérieures vont donner au film un ton tumultueux et acide. La mise en scène oscille entre la fresque monumentale contenant nombreuses scènes, pléthore de figurants et le film de chambre à deux personnages qui s’affrontent avec leurs propres visions du pouvoir et de la religion.
 
 
Dans le rôle du Tsar l’inoubliable Piotr Mamonov, déjà par deux fois l’interprète de Pavel Lounguine en 1990 pour Taxi Blues et en 2006 L’île. Il est musicien, chanteur et comédien. C’est pendant le tournage de L’Ile que Lounguine a vu le personnage d’Ivan le Terrible dans la potentialité de Mamonov qui, à l’époque, jouait le rôle d’un religieux mystique. Mamonov est une personne charismatique qui n’est pas comédien professionnel. L’homme rayonne de sagesse et de force extraterrestre. Depuis qu’il est devenu croyant, il a quitté la vie turbulente de la ville et vit à la campagne.

Autre immense et prodigieux comédien reconnu internationalement depuis Le Miroir et Nostalghia d’Andreï Tarkovski : Oleg Iankovski. Celui-ci, décédé en mai dernier, nous offre ici l’interprétation subtile et touchante d’un homme affaibli mais ancré dans une foi plutôt humaniste que religieuse. Ses yeux clairs et perçants s’accordent parfaitement avec le caractère du métropolite Philippe. Les autres comédiens ne sont pas moins remarquables, dans la panoplie des personnages très différents : la tsarine, cruelle et vampirique, le fou du Tsar, lèche-pieds et gueulard, son tortionnaire, impitoyable mais compréhensif. 
 

 
 
Signalons aussi l’excellent travail du directeur photo Tom Stern, chef opérateur attitré de Clint Eastwood (Million Dollar Baby, Gran Torino). Il donne au film un aspect documentaire : la lumière tamisée ajoute du mysticisme, les détails sont très nets et donnent de la texture aux tissus des nombreux costumes utilisés dans le film. Le contraste apporte de la froideur et de l’aspérité dans la relation entre les personnages.

Avec Tsar, Lounguine a touché un thème sensible de la Russie contemporaine. Après sa projection au parlement russe, la Douma, Lounguine a dû faire face à de nombreuses critiques et protestations contre le film, issues des partis nationalistes. Ces derniers lui reprochaient d’avoir écorché le personnage d’Ivan le Terrible et sali l’histoire russe. Déjà Staline, qui admirait cette icône épique, avait commandé un film sur le sujet à Eisenstein. Si Ivan le Terrible n’avait pas une grande valeur historique, il dessinait en filigrane le portrait de Staline. Victime de la censure Eisenstein n’a jamais terminé son film.

Peut-être que Pavel Lounguine, en racontant les deux ans de règne du Tsar, avec son long métrage a saisi la quintessence de ce personnage controversé, ce vampire du peuple qui malgré tout avait un visage humain. Le pays qui a été formé par le pouvoir absolu, est-il prêt à recevoir cette leçon de démocratie ?
 

Titre original : Tzar

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Durée : 116 mn


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