Trois jours à Arras

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La vingtième édition du Arras Film Festival s’est déroulée du 8 au 17 novembre. Retour sur quelques films qui nous ont particulièrement séduits.

Pour sa vingtième édition, le Arras Film Festival plus que jamais a rempli la mission qui préside à sa destinée depuis ses débuts : faire découvrir au public des films venant d’ailleurs, des auteurs qui très souvent sont inconnus en dehors de leurs pays d’origine. La grande originalité d’Arras est son tropisme pour les pays de l’Est. La compétition, à chaque édition, est en effet constituée en très grande partie de films venant, comme cette année, de Bulgarie, de Slovaquie, de Pologne, de Géorgie mais aussi Scandinavie avec parfois l’incursion d’une ou deux productions de pays d’Europe occidentale comme la Belgique ou l’Italie. Il faut compter aussi avec les sections « Visions de l’Est » et « Découvertes européennes » dont les films, contrairement à ceux de la compétition, ne sont pas inédits et vont sortir en France dans les deux trois mois qui suivent le Festival. On ne soulignera jamais assez le travail exceptionnel qu’entreprennent chaque année Nadia Paschetto et Éric Miot, fondateurs et respectivement directrice et délégué général du Festival, pour dénicher ces films ; ce sont des centaines d’heures de visionnage, la constitution d’un réseau bien en amont. La volonté est donc de faire émerger en France de nouveaux talents, un cinéma différent, en dotant par exemple l’Atlas d’or, prix du Jury, de 12 000 euros d’aide au distributeur prenant en charge la diffusion du lauréat dans l’hexagone. Mais Arras n’est pas uniquement tourné vers l’Est. Ces dix jours de fête du cinéma tournent autour de différents axes de programmation qui permettent à chaque édition d’intéresser les spectateurs dans leur ensemble et pas seulement les cinéphiles. Cependant, cette diversité (très nombreuses avant-premières françaises, Festival des enfants) ne se fait jamais au détriment de la qualité comme en témoigne la section « Rétrospective » dont le thème pour cette ce 20e anniversaire était L’Italie de Mussolini avec entre autres les projections de classiques tels qu’Une journée particulière (Ettore Scola, 1977), Vincere (Marco Bellochio, 2009) ou Le jardin des Finzi-Contini (Vittorio de Sica, 1970)…

Chacun pour soi

Trois jours à Arras ne nous ont hélas pas laissés suffisamment de temps pour profiter à fond d’une programmation aussi riche que diverse mais dont nous garderons cependant en mémoire quelques films magnifiques dont le dernier opus de Robert Guédiguian, Gloria Mundi (sortie le 27 novembre) projeté en avant-première. La gloire du monde – si on traduit le titre en latin du vingt-et-unième long-métrage du réalisateur de Marius et Janette (1997) -, semble être au premier abord une pure antiphrase tant le monde que le cinéaste marseillais nous donne à voir est affreux sale et méchant. Daniel sort de prison. Sylvie, son ex-femme, qui fait des ménages, lui a appris qu’il était grand-père. Guédiguian nous raconte cette famille marseillaise recomposée, ses difficultés au quotidien. Le réalisateur ici dénonce la guerre de tous contre tous, le règne du chacun pour soi. Et ce sont les jeunes qui sont particulièrement visés avec ce portrait au vitriol du couple Aurore/Bruno, personnages immoraux prêts à marcher sur leur propre famille pour gagner plus d’argent tandis que leurs parents se comportent, eux, avec dignité, font tous les efforts pour apaiser les tensions et aider leurs rejetons. Ariane Ascaride en grand-mère courage est remarquable de sobriété et de force. Par cette étude des comportements radicalement opposés entre deux générations, on ne peut s’empêcher de penser que Guédiguian fait le constat amer de la dégénérescence de la solidarité dans notre société. Il vise la jeune génération certes mais est-elle vraiment responsable ? C’est plutôt tout un système qu’il faut mettre en cause – les superstructures ; c’est le libéralisme, une doctrine qui veut que tout s’achète et tout se vend et qui broie tout sur son passage que le cinéaste dénonce à travers l’immoralisme de jeunes gens sans plus de repères, de convictions, de croyances.

 

Gérard Meylan dans Gloria Mundi (Robert Guédiguian, 2019)

 

Mais Gloria Mundi n’est pas qu’un constat noir sur notre société. Ce film est constamment nimbé d’une humble lumière qui a les traits de Gérard Meylan, le taulard. Il est la Gloire du Monde, Guédiguian en fait le sauveur, celui qui par son sacrifice rachète les fautes de ses semblables. C’est lui, le réprouvé, qui sauve le monde. En sorte qu’il y a dans ce très beau film, très sombre par bien des aspects, et par le truchement du personnage angélique d’un humble grand-père une sorte de morale christique, une promesse, une lueur d’espoir.

 

Une conscience

S’il y a un lien entre Gloria Mundi et Let There Be Light (Prix de la mise en scène) – sans nul doute le long-métrage le plus fort de la compétition – c’est celui du constat d’une certaine dégénérescence de la morale d’une jeunesse qui n’a plus de repères bien établis – ici en proie à l’horreur économique, là-bas en proie à l’embrigadement du groupe ou pire aux appels d’un fascisme qui renaît de ses cendres. Dans Let There Be Light du Slovaque Marko Skop, un père découvre que son fils aîné est affilié à un groupe paramilitaire et qu’il est impliqué dans le viol et la mort d’un camarade de classe. Toute la puissance de ce long-métrage réside dans le personnage du père (Milan Ondrik), dans son combat contre les atteintes à la dignité humaine dont son fils pourrait être l’auteur. Ce quarantenaire révolté va lutter constamment pour ce qu’il croit juste y compris lorsqu’un cas de conscience le saisit lorsqu’il s’agira de risquer la condamnation de son fils afin que triomphe la vérité. La mise en scène de Marko Skop est subtile. Un plan rapide sur la chemise brune d’Adam, le fils, avec un aigle brodé sur la poitrine suffit à révéler les résurgences néo-nazies d’un pays. Dans une autre séquence, il surprend ses deux plus jeunes enfants à mimer des scènes dégradantes où l’un est l’animal de l’autre… Milan est stupéfait par ce qu’il voit. Derrière ce jeu d’enfant, il y a l’avilissement de l’homme. Le vernis de la civilisation est si fragile.

 

Let There Be Light (Marko Skop, 2019)

 

Free Country de l’Allemand Christian Alvart est l’autre film en compétition que l’on retiendra. Ce polar nous emmène en ex-Allemagne de l’est, aux environs de Löwitz, à la frontière polonaise. Nous sommes en 1992, deux ans après la réunification. Deux policiers enquêtent sur la disparition de deux jeunes adolescentes. Dans cette région truffée de marais et d’herbes jaunes, l’enquête avance difficilement d’autant que les effets du régime est-allemand continuent de brouiller les pistes. Remake de La Isla Minima (Alberto Rodriguez,2014), le film d’Alvart est un polar crépusculaire sublimé par une photographie somptueuse qui contribue à donner au film une atmosphère très particulière, celle d’une région isolée, sauvage, remplie de mystères et de dangers. Espérons que ce beau film trouve un distributeur pour la France.

 

Free Country (Christian Alvart, 2019)

 

À noter aussi dans la catégorie Découvertes européennes, Fight Girl de Johan Timmers. Production hollandaise et belge, ce film nous raconte l’histoire de Bo (très convaincante Aiko Beemsterboer), adolescente révoltée par le divorce de ses parents. Une voisine lui propose de s’inscrire au club de Kickboxing. La pratique de ce sport sera une révélation pour la jeune fille. Basé sur un scénario un peu simpliste, ce film étonne cependant par l’énergie que transmettent les séquences nombreuses de combats de boxe. La boxe, dont le Kickboxing est une variante, est un sport éminemment cinématographique encore faut-il pour un réalisateur qui désire la capter bien s’adapter à la géométrie du ring et au combat entre deux pugilistes en perpétuel mouvement. C’est ce que fait parfaitement Johan Timmers.

 

Palmarès :

20ème édition du Arras Film Festival

8-17 novembre 2019

 

Compétition européenne

 

Prix Atlas

Décerné à

THE FATHER (Bashtata)

De Kristina et Petar Valchanov (Bulgarie/Grèce)

 

Atlas d’Argent/Prix de la mise en scène

Décerné à

LET THERE BE LIGHT (Nech je svelto)

De Marko Skop (Slovaquie)

 

Prix SFCC de la critique

En partenariat avec le Syndicat Français de la Critique de Cinéma

Décerné à

THE FATHER ((Bashtata)

De Kristina Grozeva et Petar Valchanov (Bulgarie/Grèce)

 

PRIX DU PUBLIC

Décerné à

DAPHNÉ

De Federico Bondi (Italie)

 

Prix Regards jeunes – Région Hauts-de-France

THE FATHER (Bashtata)

De Kristina Grozeva et Petar Valchanov (Bulgarie/Grèce)


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