Tony Manero

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Chili 1978. La dictature de Pinochet étouffe sans relâche un peuple avide de liberté. Tony Manero, personnage mythique incarné par J. Travolta dans « Saturday Night Fever », véhicule l´évasion de Raúl. Mais cette rêverie tourne vite au cauchemar, et le disco ne trouve plus sa place dans une réalité difficile à supporter. Ce film expose sans hésitation le désespoir du désenchantement

Le réalisateur Pablo Larraín nous fait plonger dans le quotidien d’un pays sous dictature, dans son cas le Chili des années 1970. L’ambiguïté du mauvais souvenir effacé par la population est ici traitée avec une précision étonnante. Un ton général sec, des plans volontairement flous et incertains, un héro amoral vivant au jour le jour. Tout espoir est banni dans ce film, où la mode disco confirmée par le film à succès Saturday Night Fever (1977) impose une rêverie importée, piles non inclues.
Le petit groupe de personnages forts menés par Raúl, la cinquantaine mysogine (interprété avec exactitude par Alfredo Castro), s’acharne à mettre en place un spectacle de variété à partir des danses et choréographies du film américain en question. Paradoxalement, le résultat est un concentré du côté obscur, pervers et pessimiste du film de Travolta, qui était déjà suffisamment noir en soi une fois le costume de paillettes rangé dans le placard. A cela on ajoute un armée omniprésente qui ne cherche qu’à piéger un peuple perdu. L’irrationalité bat donc son plein devant nos yeux pendant les 98 minutes de projection : une tragédie sordide est mise en place, elle sera menée à terme par des personnages sans maquillage ni dignité.
Ainsi, Tony Manero met en scène un cas particulier qui, sous des aspects extraordinaires, regroupe toute la désolation générée par un régime dictatorial, lequel s’applique par définition à supprimer la liberté individuelle. Pablo Larraín s’autorise d’ailleurs à le qualifier de film allégorique, mais il n’insiste pas trop sur le sujet, car pour lui, « les symboles sont dangereux ». 

Une séquence précise nous interpelle : Raúl finit de réunir suffisamment de carreaux en verre pour fabriquer un sol lumineux (de même que dans la discothèque de Saturday… qui permet à Travolta d’exhiber ses danses éblouissantes). Au lieu de l’installer, comme prévu dans un premier temps, sur la petite scène du rez-de-chaussée où leur spectacle aura lieu, il pose en amateur le sol lumineux dans sa propre chambre à l’étage. Nous assistons alors à un moment de pure évasion noyée dans l’égoïsme, sorte de féerie enchantée mélangée à l’esprit perturbé de Raúl, surpris dans son intimité.
Et cela est possible grâce au traitement de la lumière, magistralement maîtrisée. Dans la pénombre de la chambre, des tubes de néon sont placés sous le sol en verre, s’allumant et s’éteignant en intermittence irrégulière. Cela fait penser dans un premier temps à l’effet lumineux qui existe dans les vraies discothèques, mais la propre irrégularité maladroite de l’allumage finit par nous transporter, non pas vers l’intemporel, mais vers un échec sordide, bien ancré dans le présent.

     

On est donc en présence d’un deuxième longmétrage pertinent. Malheureusement, les choix de réalisation forts tels que les flous et les plans à l’épaule très serrés, ont eux-mêmes un côté pervers. Le spectateur risque vite l’écoeurement physique, et cela augmente le désespoir ressenti face à ces personnages porteurs de tristesse. Attention donc aux amateurs du disco, le risque de désenchantement est grand, très grand.


Titre original : Tony Manero

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Durée : 98 mn


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