On retrouve tous ces aspects dans To Rome with Love, à travers la relation entre John (Alec Baldwin) et Jack (Jesse Eisenberg). Ce dernier se délecte de son rôle de pur personnage allénien mais ne réussit cependant pas à y apposer son propre style. Son interprétation manque de personnalité, tout comme celle d’Alec Baldwin, dont le rôle ne semble être qu’une ombre de tous ceux qui l‘ont précédé, une ruine témoin du temps passé. John affirme sans argumenter, immobilisé sur des acquis que l‘on regrette de trop bien connaître. Seul Leopoldo, incarné par Roberto Begnini, semble posséder des richesses encore inexplorées par le cinéaste. On aurait envie que le film se focalise sur lui plutôt que sur les autres personnages, perdus dans leur frivolité. Leopoldo, ce « monsieur tout le monde » père de famille, se retrouve du jour au lendemain propulsé au rang de célébrité médiatique et, alors qu’il se fraie un chemin à travers les dizaines de paparazzis qui l’entourent, va rapidement passer du personnage authentique et modeste au Narcisse impudent. Ce regard amusé sur un personnage qui se complait autant qu’il se perd dans les joies et les affres de la célébrité, le cinéaste l’a longuement exploré dans Celebrity (1998). Dans To Rome with Love, cependant, dès que les choses commencent à s’établir, elles sont immédiatement rompues. On n’a le temps de s’attarder sur rien, et cette manie de survoler ses personnages donne l’impression que le cinéaste ne leur cherche plus aucune profondeur. Comme dans Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu, Woody a l’air de se complaire dans une observation assez facile des caractères alors qu’il maîtrisait si bien l’art de l’interrogation. Aujourd’hui, la réflexion semble poussée moins loin. Mais si les personnages ont perdu en profondeur, ils ont gagné en spontanéité.
Spontanées, les femmes de Woody Allen l’ont toujours été. Le cinéaste a su, tout au long de sa carrière, filmer la féminité dans toute sa splendeur. Il a réussi à comprendre toutes ces femmes en composant avec leurs qualités, leurs troubles, leurs fantasmes les plus inavoués. Il a montré la beauté des sœurs (Intérieurs, 1978), l’érotisme des amantes (Maris et Femmes, 1992), la cérébralité aguicheuse (Manhattan, 1979) ou encore l’inconstance amoureuse (Anything else). Ici, l’amie prostituée incarnée par Penélope Cruz nous fait indubitablement penser à un style de personnage qui a déjà fait des siennes, comme celui de Linda Ash (Mira Sorvino) dans Maudite Aphrodite (1995) ou Cookie dans Harry dans tous ses états (1997). D’autres scènes se retrouvent de film en film, tel l’épisode léger et frivole de l’adultère entre Milly (Alessandra Mastronardi) et le voleur (Riccardo Scamarcio). Cette attirance, à la fois comique et immorale, d’une jeune fille bien sous tous rapports pour un bad guy n’est pas sans rappeler la liaison, cocasse, entre Drew Barrymore, jeune fille de bonne famille, et Tim Roth, repris de justice, dans Tout le monde dit I love you (1996).
Outre ces épisodes, amusants mais anecdotiques, Woody Allen a toujours veillé à mettre en avant une femme aussi belle que pleine de personnalité. À l’image de Scarlett Johansson, le cinéaste aime travailler avec la ravissante jeunesse d’aujourd’hui. Néanmoins, aucune des actrices de ces dernières années n’arrive à la cheville d’une Diane Keaton ou d’une Judy Davis. Woody Allen cherche ses muses d’autrefois : Monica, le personnage incarné par Ellen Page dans To Rome with Love, en est la preuve, tant elle semble être un ramassis de tout ce qu’on a pu aimer indépendamment chez d’autres. Elle combine ambition et insatisfaction, naturel et érotisme, beauté et simplicité, fausse intelligence et profonde ignorance. Elle est, finalement, à l’image de la femme : paradoxale.
La comédie de tous ces personnages qui ne semblent rien faire d’autre que tourner en rond ne nous fait malheureusement plus beaucoup rire. On pardonne à Woody cette nouvelle déception mais on attend de lui une rapide renaissance. Parce que, quoiqu’il arrive, la meilleure façon de séduire, c’est encore la sienne.