Thelma

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L’anxiété d’un corps dans un gant de velours.

L’attention que suscite l’ouverture d’un film a ceci de fascinant qu’elle fait souvent sentir, de façon plus ou moins explicite, le pouls d’une œuvre et l’intensité de son souffle, encore inconnus à ses prémisses. Le début du dernier long métrage de Joachim Trier, Thelma, va dans ce sens. Il commence par l’image en CinémaScope d’un plan large, en surplomb, sur une étendue d’eau gelée par l’hiver, au milieu de laquelle un homme et sa petite fille marchent doucement sur une glace frileuse dont les légers craquements amorçent une tension. Quelque chose menace de céder et de se rompre. L’image inaugurale est prémonitoire. La séquence qui suit ajoute de nouvelles données : alors qu’un animal sauvage apparaît, le père prépare son fusil de chasse et le pointe quelques instants dans le dos de sa fille, avant de se raviser. Ce prologue annonce un lien, celui du père et de sa fille, qui sera approfondi dans la suite du film.
 


Un oiseau qui se cogne

Des années plus tard, Thelma (Eili Harboe) a grandi et quitte son père Trond (Henrik Rafaelsen) et sa mère Unni (Ellen Dorrit Petersen), parents très dévots, pour aller faire ses études à Oslo. Elle est cet être curieux qui mobilise toute l’attention du cinéaste, concentrant la caméra, à l’image de ce zoom progressif vers elle depuis le ciel au-dessus de son université. Joachim Trier installe une mise en scène à la fois distante (des scènes d’ensemble, de recul focal) et chargée d’une tension latente, confirmée par ce plan noir sur le titre du film et sa musique menaçante, encart presque caricatural du genre horrifique. Le réalisateur organise le récit d’apprentissage de cette jeune femme qui éclot d’une nouvelle façon à la vie, à ses désirs charnels, à travers une forme de mue qui passe par du surnaturel et des déroutes psychosomatiques. Thelma, visage doux et lumineux, d’apparence tranquille, entraîne avec elle de sombres présages traduits par des symboles assez classiques : serpents qui se faufilent au sol, qui habitent les cauchemars, corbeau venant se cogner contre la vitre de la bibliothèque de l’université…Elle éprouve d’étranges crises psychogènes qui surviennent de façon récurrente et révèlent progressivement de déroutants pouvoirs. Le film se positionne alors sur deux registres : celui du genre avec les motifs surnaturels injectés dans le déroulement des crises, puis celui d’un film plus psychologisant, voire existentiel, à l’instar de ses précédents films (le mal être de la mère dans Back home – 2015 – et celui d’Anders dans Oslo, 31 août).
 


« L’anxiété d’un corps »

Au sujet de Thelma, Joachim Trier évoque « l’anxiété d’un corps ». Les crises qui s’emparent de celle-ci, qui ne disent pas leur nom, peuvent suggérer la somatisation due aux bouleversements émotionnels et aux tiraillements qui gagnent peu à peu la jeune femme, qui vit mal, par exemple, en raison de son éducation religieuse stricte, le fait d’éprouver des sentiments pour son amie Anja (Kaya Wilkins). Quelques belles scènes traduisent ces moments de débordement du corps, comme ce montage alterné à l’opéra, où les mains de Thelma se mettent à trembler. Pourtant, ce climat anxiogène éprouvé, traduit par le corps reste à un stade de représentation et de perception liminaire, comme faisant les frais de l’austérité de la mise en scène, de sa visualité sombre et parfois envoûtante mais sans aspérité particulière, un distingué gant de velours incompatible avec les déflagrations qui remuent l’être au monde de l’héroïne et ses particularismes les plus surnaturels. Il manque à Thelma les manifestations organiques (tel celles des oeuvres d’un David Cronenberg) à même de donner vie et sensation à son sujet, ainsi qu’à ces passionnants, complexes enchevêtrements de corps et d’âme. Non sans intérêt ni incarnation, l’oeuvre, comme lors de son ouverture, amorce cependant plus qu’elle ne tranche.

Titre original : Thelma

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Durée : 116 mn


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