donnez-lui un masque et il dira la vérité".
Oscar Wilde
Dans Tatarak, la douloureuse histoire de la Pologne transpire aussi à travers l’histoire de cette femme Marta, qui a perdu ses deux garçons lors de la deuxième guerre mondiale.
Marta est un rôle offert à Krystyna Janda, inégalable comédienne qui se livre devant la caméra pour déballer la douleur qu’elle a accumulée après la perte de son mari, Edward Klosinski, chef opérateur qu’elle a rencontré sur le tournage de L’homme de marbre. C’est un double rôle, qui est peut-être moins difficile à supporter qu’être soi-même : dans la souffrance on se ressemble tous. Avec ce texte, qu’elle a écrit, Krystyna dévoile tous les détails des derniers jours de la vie de son mari. Dans le clair obscur de cette chambre verte, Krystyna noie son chagrin. Les trois plans séquences dans cet « aquarium » de monologues s’écoulent sans larmes, submergée par la culpabilité d’être restée vivante.
La trame narrative de l’intrigue fictionnelle, adaptation de deux nouvelles, l’une d’un écrivain polonais Jaroslaw Iwaszkiewicz et l’autre d’un écrivain hongrois Sándor Márai, possède aussi sa chambre verte. Marta ne sait pas qu’elle est atteinte d’un cancer mais porte en elle cette innocence d’un premier amour qu’elle exprime envers Bogus, un jeune villageois. Dans une magistrale séquence, qui donne son titre au film, Tatarak , jonc en français, le jeune homme est victime d’une crampe et se noie sous les yeux de Marta.
A peine a-t-elle trouvé la proximité de ce jeune corps rempli d’énergie et de promesse de vie, que Marta fait à nouveau face à une perte. La vie s’enfuit de son enveloppe refroidie et pâle, restée dans les bras de Marta, impuissante à inverser les lois de la nature. A ce moment précis, l’espace entre la réalité et la fiction se dilue, et la collision entre le sentiment de perte réel et le choc fictionnel après la noyade de Bogus que doit ressentir la comédienne l’oblige à faire surgir la vérité.
Le réalisme photographique à la Edward Hopper, qui décrit la fiction et le vacuum affectif de Krystyna dans la chambre verte de l’hôtel, combiné à la vidéo brouillonne des séquences de mise en abyme du tournage, constituent la palette d’Andrzej Wajda. Le réalisateur, qui a toujours cherché la vérité à travers le dispositif de son cinéma, semble avoir approché au plus près celle d’un être si touchant de fragilité.