Stronger

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S´il n´évite pas l´usage de quelques ficelles, « Stronger » échappe avec élégance à la grandiloquence et au pathos augurés par son sujet.

En adaptant à l’écran le récit de vie inspiré de Jeff Bauman, victime des attentats du marathon de Boston en avril 2013, David Gordon Green s’exposait à d’indéniables écueils : une mise en scène appuyée pour dire le traumatisme individuel et la voie de la grandiloquence au service d’une restauration de soi par le collectif patriotique, la communauté, l’un des lieux communs d’une partie importante du cinéma américain. Si Stronger n’échappe pas à ce dernier motif dans sa deuxième partie, le début du film, lui, affiche une étonnante noblesse dans sa façon de traiter son sujet et son personnage.

 






Caméra à hauteur d’homme, familiarité bostonnienne

L’œuvre s’ouvre sur un Jeff Bauman (Jake Gyllenhaal) ambulant et étourdi, salarié au rayon charcuterie d’un hypermarché, se confondant en excuses après avoir laissé trop longtemps griller des poulets. Incident qu’il oublie aussitôt pour aller suivre un match avec ses amis dans un bar local de la petite ville de la région de Boston où il vit. A cette occasion, il invitera chacun, avec une sympathique exubérance, à donner des fonds pour le marathon de Boston où va courir son ex petite amie Erin (Tatiana Maslany), toujours liée à lui mais vraisemblablement lasse de l’immaturité de l’enfantin Jeff. Dans ces premières séquences, l’interprétation talentueuse de Jake Gyllenhaal développe d’emblée un attachement, une familiarité dans la caractérisation de son personnage et de ses proches, accentuée par la bienveillance de l’œil du cinéaste. L’image numérique, pâle et granuleuse, pose le décor d’une communauté familiale, amicale, sociale autour de laquelle gravite Jeff. Une absence d’afféterie maintenue jusque dans le moment de bascule de l’explosion de la bombe durant le marathon où Jeff venait soutenir Erin. Sans voyeurisme, un plan séquence filme l’événement, catalysé sur le visage de Jeff dans la foule, apercevant un homme vêtu de noir avec un sac à dos se frayant un passage près de lui. Il y alors une simplicité dans l’oeil sincère du jeune homme, baissant la tête vers le sol et les pieds de l’homme, ne laissant pas au spectateur le temps de voir son visage préoccupé, l’explosion fermant ce moment.

Le manque d’affectation du film, sa franchise, tiendront jusque dans sa suite tragique : le quotidien et la difficile résilience de Jeff, après la perte de ses deux jambes dans l’attentat. David Gordon Green instaure une mise en scène qui marque par sa décence, entretenant une proximité délicate, une fraîcheur, avec le personnage principal, sans évacuer aucune aspèrité quelle qu’elle soit. Un plan reste en tête, éprouve la sensibilité, lorsque Jeff se voit retirer ses bandages à l’hôpital. Le  plan adopte le point de vue du personnage, la caméra opère une sorte de torsion, depuis le visage de Jake Gyllenhaal, et l’avant du plan filme les membres atrophiés de Jeff, laissés dans un flou. Un geste qui dit tout à la fois la tendresse et la retenue d’un cinéaste envers son personnage et dévoile le traumatisme, ce qu’il arrache physiquement et psychologiquement, avec la même évidence de mise en scène que la scène de l’attentat.

 







Plus fort que la communauté

Stronger tient bon, soutenu par ce regard sans ambages mais sensible, dans ses registres de drame, comme dans ses doses d’humour. Et l’on se dit que le sens du titre du film repose pour beaucoup dans les ressorts de caractérisation des personnages face au traumatisme, leur faconde directe et libre, leurs maladresses naïves. Une authenticité dans l’interaction humaine dépeinte entre les membres de la famille (formidable Miranda Richardson dans le rôle de la mère de Jeff) qui perd un peu de ses notes miraculeuses lorsque l’œuvre s’enfonce dans la reprise de ce portrait de reconstruction individuelle par un collectif plus large (non plus la communauté proche, la famille, mais la ville elle-même autour de Jeff), avec son lot de séquences de célébrations sportives, de match de hockey en match de baseball, de symbolique surlignée du vivre ensemble. De la filmographie éclectique de David Gordon Green, on se trouve ici loin du Sud des Etats-Unis qui était le terrain de ses films, à notre sens, les plus réussis de sa filmographie : L’Autre Rive (2004) et Prince of Texas (2013). Stronger les rejoint néanmoins dans son approche brute et une simplicité au service de l’incarnation de ses personnages, jamais précautionneuse ni alambiquée. Un cinéma muni d’une petite voix mais au fort tempérament.

Titre original : Stronger

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Acteurs : ,

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Durée : 121 mn


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