Jamais autant Naomi Kawase, pourtant coutumière du fait, n’avait mêlé aussi idéalement les faces documentaire et fiction de son cinéma. Si elle ne sacrifie toujours pas à une narration linéaire ou très structurée – son oeuvre est l’affaire de micro-moments, d’instants presque imperceptibles saisis avec patience -, elle donne avec Still the Water un film peut-être plus immédiatement abordable, avec plusieurs branches auxquelles se rattacher. Il y a, d’abord et comme à son habitude, l’observation très précise d’un quotidien traditionnel et loin de nous qu’elle offre à voir avec respect et délicatesse (là encore, l’une de ses forces) : c’est panthéiste, il faut admettre que les dieux sont tout autour, comme la mort qui, ici, rôde partout. Elle n’élude pas la violence des traditions, mais exige de s’y intéresser quand on saigne une chèvre et que sa caméra capte, peut-être, l’âme qui s’en va. Ailleurs, c’est sa très fine peinture de l’éveil amoureux qui émeut : ce n’est pas follement original, mais elle sait, par exemple, filmer la rencontre des corps de deux jeunes amoureux au beau milieu d’une mangrove avec un tact immense.
Still the Water avance par à-coups, eux aussi plutôt invisibles mais bien présents. Plusieurs scènes s’entrechoquent en douceur : un voyage à Tokyo, ville grouillante, contre la tranquillité d’Amami ; des accès de colère adolescente contre une vie insulaire calme où l’on fait du vélo, où l’on se baigne tout habillée – ou tout nu. A ces intempéries de la vie répondent joliment les conditions climatiques : aux deux tiers du film, un typhon violent ravage les côtes de l’île, la placidité de l’eau et le beau fixe qui s’ensuit n’en sont que plus frappants. La temporalité adoptée par Naomi Kawase est toujours aussi lente, il s’agit, ici plus que jamais, de laisser naître quelque chose au sein même de la scène – une émotion, un incident. Cette immobilisme apparent peut rebuter, mais la persévérance est largement récompensée par, au grand minimum, une scène majeure, celle de la mort de la mère. Dans la longueur, et dans un entremêlement fiction-réalité miraculeux (habitants du village côtoyent acteurs professionnels), Kawase réussit une séquence de transe tout à fait ahurissante, qui rappelle que son cinéma, loin d’être décoratif, est capable de sérénité comme de la plus éclatante vitalité.
À lire : l’entretien avec Naomi Kawase.