King Vidor signe un de ses plus beaux films dans ce mélodrame où l’on retrouve les questionnements sociaux parcourant toute son œuvre. Vidor aura exploré la thématique de l’ascension sociale à travers la vision de l’immigrant et du rêve américain (The Wedding Night -1935, Une Romance Américaine – 1944) de la romance impossible (Ruby Gentry – 1952) ou encore du libre-arbitre avec Le Rebelle (1949). Cette fois ce sera à travers une bouleversante relation mère-fille que se posera cette idée dans Stella Dallas, seconde adaptation (après celle muette d’Henry King de 1925) du roman éponyme d’Olive Higgins Prouty. Stella (Barbara Stanwyck) est une jeune femme issue de la classe ouvrière qui se morfond dans la monotonie et la médiocrité de son milieu modeste. Dès le départ la condescendance avec laquelle elle juge ses semblables annonce le drame à venir. Sa première apparition est significative de son attente biaisée de la haute société, posant au portail de la maison familiale avec un livre intellectuel à la main afin d’attirer l’attention de l’aristocrate Stephen Dallas (John Boles) qui rentre régulièrement par là. Ce livre, on devine aisément qu’elle ne l’a pas lu et qu’il symbolise la vision superficielle qu’elle a de la haute société, une ascension relevant plus de l’apparat et du luxe que de l’intellect.
Elle réussira néanmoins à séduire et épouser Stephen Dallas mais, malgré la naissance de leur fille Laurel, l’époux comprendra vite qu’il n’a servi que de passerelle vers les clubs prestigieux et les bals nantis pour une Stella pas du tout disposée à une vie familiale paisible. On saisit pourtant que cette aisance, cette assurance et ce flegme simple et inné sera forcément inaccessible pour notre héroïne dont l’ascension ne se sera faite que par le mariage mais pas dans la manière d’être. Un constat cruel et pessimiste où le milieu d’origine semble constamment nous poursuivre mais Vidor évite pourtant de rendre Stella antipathique par l’illustration de son indéfectible amour maternel. La fille Laurel (Anne Shirley qui n’a en fait que 11 ans d’écart avec Barbara Stanwyck) sera à la fois l’élément qui fera prendre conscience de ses limites à Stella mais aussi celui montrant l’accession possible à un ailleurs plus enrichissant (même si forcément par l’union entre aristocratie et milieu populaire). L’écart se creusera progressivement entre la mère et la fille, le tempérament tapageur de Stella s’avérant un frein de plus en plus encombrant à la progression de Laurel dont la beauté, l’élégance et le caractère discret attire les meilleurs partis. Une fête d’anniversaire désertée par des mères refusant de voir leurs filles côtoyer cette femme vulgaire, des moqueries en sourdine dans un palace où les robes et le maquillage extravagant de Stella dénotent, tout semble pouvoir provoquer une dissension inévitable entre elles.
Contrairement à Mirage de la vie (1959) auquel on pense beaucoup (le problème racial en moins évidemment) l’aspiration individuelle ne domine jamais, mère et fille préférant se sacrifier plutôt que d’affronter le désobligeant regard extérieur. Laurel tourne ainsi le dos aux beaux prétendants et à leurs riches familles par amour pour sa mère qu’elle ne souhaite pas voir raillée. Anne Shirley est particulièrement touchante dans son interprétation très sensible et délicate, la scène où elle semble deviner le sacrifice de sa mère étant réellement bouleversante. Stella quant à elle comprenant qu’elle est un poids pour sa fille et découvrant à son tour les renoncements de cette dernière va littéralement s’en aliéner l’affection pour son salut. L’amour ne peut que tirer vers le bas et ne fait pas disparaitre les clivages sociaux, Stella découvrant trop tard cette terrible évidence. Barbara Stanwyck livre une de ses plus incandescentes interprétations, victime de ne pouvoir rester qu’elle-même dans ses attitudes outrancières mais capable de tous les abandons et sacrifices pour sa fille. On retrouve la tendresse de Vidor pour les classes populaires par ces scènes faussement comiques où une Stella pomponnée traverse les salons prestigieux d’un palace, pensant que les gens de « la haute » s’habillent ainsi mais n’attirant que les regards amusés dans un décalage saisissant.
Cette élévation sociale qu’elle a ratée (autant par elle-même que par les barrières sociales), elle l’observera de loin pour Laurel dans un magnifique final. Un magnifique mélodrame qui valut une nomination à l’Oscar pour une Barbara Stanwyck qui surmonta tous les obstacles (malgré le choix de King Vidor et ses grands rôles passés chez Wellman notamment, le producteur Samuel Goldwyn pas convaincu et la trouvant trop jeune osa lui faire passer des auditions) pour interpréter ce qui reste un de ses plus grands rôles.