Sylvester Stallone a peut-être eu le malheur de bâtir sa carrière sur un malentendu. Non, l’étalon italien (titre de son premier et unique film érotique, tourné au début des années 70) n’était pas, et n’a jamais été uniquement une montagne de muscle éructante et belliqueuse, vouée à démolir les voyous, les communistes, les ripoux ou les boxeurs un peu trop frimeurs. Stallone a, avant d’être une star, toujours voulu être un acteur, un vrai.
Natif de New-York, Stallone s’est intéressé très jeune à l’art de la comédie, en même temps… qu’à la culture physique. Après un voyage en Suisse, où il devient prof de gym, le jeune Sylvester veut définitivement être acteur. Les premières années ne sont pas follement excitantes mais il se retrouve malgré tout (comme figurant) au générique de Klute et Bananas, et obtient quelques rôles plus importants dans des séries B telles que Capone et La course à la mort de l’an 2000.
Sur le ring, un acteur est né
Avec son physique encore mal dégrossi, son regard déjà torve et sa stature de déménageur, sa diction indistincte et monocorde, Sylvester Stallone sent toutefois qu’il ne trouvera pas d’autre emploi que celui de méchant de seconde zone. La suite fait partie de la légende : inspiré par un combat de Muhammed Ali, "Sly" écrit l’histoire d’un petit boxeur philadelphien (sa ville d’enfance) qui devient célèbre en ayant la chance d’affronter le champion du monde en titre… Rocky lui vaut deux nominations aux Oscars (scénario et acteur) et remporte celui du meilleur film. La roue du destin est enclenchée.
Trente ans plus tard, Stallone n’a plus l’oeil du tigre, mais celui du sage qui, fort de la fortune amassée au long des années, se consacre en toute humilité à son métier, avec une vision artisanale étonnante à bien des égards. Le dyptique Rocky Balboa / John Rambo surprend par son refus des contingences commerciales (rythme lent, absence réelle d’enjeux dans le premier ; violence paroxystique, absence quasi-totale d’humour et ambiance de fin du monde pour le deuxième), comme par sa maîtrise de mise en scène. Sobre, classique, rigoureuse. A l’image de son auteur.
Du mythe au miteux
Et c’est tant mieux ! Car, avant d’en arriver à cette renaissance artistique tardive, Stallone a dû passer quelques mauvais moments à regarder les chiffres du box-office. Intronisée star millionnaire en 1983, l’année où le troisième épisode de Rocky et le premier Rambo cassent la baraque, Sly est alors l’incarnation du rêve américain. Il a déjà réalisé le sien, en devenant à la fois acteur, scénariste et réalisateur (notamment pour le méconnu La taverne de l’enfer, plusieurs Rocky et le nullissime Staying alive, vraie fausse suite de La fièvre du samedi soir).
Posant au choix avec ses gants de boxe ou son couteau à lames sur des posters que s’empressent de collectionner ses fans, invité à la Maison Blanche à dîner avec Ronald Reagan – en bon Républicain, l’acteur avoue avoir adoré la soirée passée avec l’ex-Président à regarder le nanar footballistique A nous la victoire – Sylvester prend la grosse tête en même temps que du muscle. Il en oublierait presque sa volonté d’être reconnu comme un véritable acteur de composition, chose qu’il avait réussie dans les premiers Rocky et Rambo, ainsi que dans F.I.S.T., sur la vie du patron des camionneurs Jimmy Hoffa, et Les faucons de la nuit, polar d’espionnage sous influence. Au lieu de persister, Stallone engrange les millions et enchaîne les suites et les choix malheureux : il se détourne de Piège de cristal et tourne dans Cobra, Tango et Cash, Over the Top… Des échecs intégraux qui font malgré tout le bonheur des vidéo-clubs. Plus tard, l’homme avouera regretter les choix faits à cette époque, où son ego gonflait en même temps que son tour de biceps, à ce moment où les mythes qu’il incarnait devenaient des symboles dégénérés de l’Americana conservatrice et revancharde.
Au pays des flics sourds
Dans les années 90, comme son ami Schwarzenegger, avec qui il ouvre une chaîne de restaurants désormais fameuse, Planet Hollywood, Stallone se ridiculise dans des rôles de justicier dépassé (L’expert, Assassins, Judge Dredd, Get Carter), ou des comédies bas de plafond (Arrête ou ma mère va tirer ! qu’il reniera lui-même). Pour un Cliffhanger montagnard réussi, que de navets accumulés ! Seul, dans cet océan de films oubliables et chèrement payés (20 millions de dollars de salaire à chaque fois, quand même), une prestation passe à la postérité : Copland, où au milieu d’habitués du cinéma de Scorsese (De Niro, Liotta, Keitel), Stallone impressionne en shérif à demi-sourd et lent à la détente.
La cinquantaine est là, et comme tous les héros musculeux apparus dans les années 80, Stallone risque de devenir has-been. Motivé, il tente d’écrire lui-même le scénario qui le fera revenir sur le devant de la scène. L’épopée "F1" de Driven, réalisée en roue libre par Renny Harlin, se crashe dans les starting-blocks. Le film catastrophe Daylight ne remporte même pas la moitié de sa mise, et en 2002, D-Tox (un navet de plus) sort directement en DVD. On se dit que le Sly, même immensément populaire, est perdu pour la cause. La preuve, il tourne dans un show de télé-réalité consacré à la boxe, The Contender.
Et pourtant, il tente une fois de plus le tout pour le tout, en réactivant deux franchises cultes, mais comme figées dans une époque révolue. Stallone est bien placé pour savoir que le temps a passé. Sa dégaine fatiguée qui autrefois pataugeait dans la redite de ses exploits de jeunesse, il sait mieux que quiconque s’en servir. Il le prouve en deux temps, réalisant sans doute avec John Rambo son film le plus accompli, le plus lucide surtout. Un opus à la fin mélancolique, qui n’a toutefois rien d’un testament : le pimpant soixantenaire s’apprête à faire revivre sous les traits de Viggo Mortensen, l’écrivain Edgar Allan Poe. Un projet qui lui tenait à coeur depuis longtemps, peut-être depuis… ses études artistiques à Miami.