Souvenirs de Satoshi Kon

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A 47 ans, Satoshi Kon laisse derrière lui un cinéma d’animation japonais et nombre de fans en deuil, mais également une filmographie foisonnante et plus que jamais vivante.

Comme la lumière revenant dans la salle, comme les coups de battes de Paranoïa Agent (2004) ou les réveils de Paprika (2006), le retour à la réalité est brutal. Satoshi Kon a laissé vivre ses films sans lui le 24 août dernier et me fait, moi aussi, orphelin. Tourné vers l’illusion, le rêve et les liens entre réel et imaginaire, tout semble permis dans l’univers fantasmé du cinéaste, y compris s’y faire une place de choix à côté de ses personnages, bien que n’étant à la base que simple voyeur. En effet, déchirant lorsqu’il se termine, chacun de ses films se vit comme une invitation, rendant la frontière entre acteur et spectateur toujours plus trouble. Comme la folie qui voit des centaines de gens défiler dans les rues de Paprika, tout le monde veut participer ; tout le monde s’y invite.

 

Millenium Actress
Le jeu schizophrénique de Perfect Blue (1997) l’annonçait déjà : l’important pour Kon n’est pas de nous tromper habilement, nous perdre devant notre écran, mais de le faire avec Mima, avec son héroïne. Qu’importe le twist, en vérité, si l’on n’en est que spectateur. Viscéralement avec elle durant tout le film, sa peur, sa détresse, sa folie sont les nôtres. Concernés, nous l’étions par cette chanteuse de j-pop devenue comédienne, comme nous le serons par l’actrice de Millenium Actress (2001). Aussi loin de nous que soient ces personnages, leur besoin de rêver, de se souvenir, de se rappeler qui ils étaient pour savoir qui ils sont nous rapprochera toujours d’eux. C’est la raison pour laquelle les journalistes venus interviewer la grande Chiyoko Fujiwara dans Millenium Actress se retrouvent intégrés à ses souvenirs comme nous le sommes nous-mêmes. Impossible de refuser l’invitation, quand elle est si belle.

De rêve en rêve, de souvenir en souvenir, cette « Millenium Actress » vit avec nous et nous laisse anéantis lorsqu’elle s’éteint. Anéantis mais heureux, car justement restent les souvenirs. Ces souvenirs qui, à l’instar de Solaris, hantent également la station spatiale du merveilleux segment « Magnetic Rose » de Memories (1995), réalisé par Kôji Morimoto et co-scénarisé par Satoshi Kon. Ce passé qui rattrape chacun des personnages de Tokyo Godfather (2003) comme lors d’un noël de Frank Capra. Grande machine à rêves, le cinéma joue avec ces fantômes diffus. Celui de Kon nous fait littéralement les côtoyer. Terrifiants, mais rassurants car familiers. Terrifiante comme l’image que Mima n’arrive plus a avoir d’elle-même, abimée par la surconsommation de masse ; comme si ce que les autres voyaient d’elle était en réalité devenu la véritable Mima. Rassurante comme la peluche crée par Tsukiko Sagi dans la série Paranoïa Agent, appel à l’imaginaire pour des milliers de consommateurs rêveurs. Familière comme tous ces monstres, toutes ces créatures qui apparaissent dans une salle de cinéma lors de l’une des folles farandoles de Paprika. Comme des vestiges de notre enfance, de notre première bande dessinée, de notre premier et dernier film vu.


Paprika
 
 
Dans la lettre d’adieu de Satoshi Kon qui fut publiée sur son blog, si troublante d’impudeur qu’elle en devient bouleversante, le réalisateur s’excuse à de nombreuses reprises de son égoïsme. S’excuse auprès de sa famille, de ses producteurs… Pourtant, si sa mort a tellement touché les amoureux de ses films, c’est parce qu’avec chacun d’eux, il partageait tout. Le fabuleux Millenium Actress ne cesse encore de nous le rappeler : chaque rêve, chaque souvenir, chaque film forge une vie. Du coup, comme le flic cinéphile de Paprika, le cœur gros, commençons donc par retourner au cinéma et vivons.


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