Sleepy Hollow. Sortie BR/4K chez ESC

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Beau tableau où Burton ré-articule le mythe fondateur de son pays, autour de son opinion critique des conformités des banlieues américaines.

Sleepy Hollow : Bourg où se rencontrent sciences, passions et impatiences.

Il existe deux aspects bien distincts à l’image auteuriale que Tim Burton entend offrir de lui-même. C’est en tout cas l’analyse qu’on peut tirer de la critique par Pauline Kael d’Edward aux mains d’argent : « C’est plaintif, et ça ne semble pas vouloir être plus que ça. Burton nous montre l’ado pale, solitaire qui a l’impression qu’il n’a pas sa place dans le monde. […] Cette représentation de sa vie intérieure est forcément incomplète : Où est la partie de lui qui a mis le démon Beetlejuice à l’écran et qui a laissé le Joker se déchainer ? Le voilà, le Burton intérieur que certains d’entre nous veulent voir, pas son double abattu qui nous dit qu’il a toujours été un mec gentil. » La messe est dite. Pour Kael, et pour d’autres, Burton est moins probant quand il ne montre pas les dents, laissant sa chétive stature s’emplir d’immenses et secouantes émotions juvéniles en tout genre. Pour Kael, et pour nous, son romantisme de garçon fébrile et esseulé a bien un intérêt. Mais celui-ci doit être bordé par le « Burton intérieur » plus assertif et moins moral ! Il doit être canalisé par sa moitié la plus sardonique, le démon sur son épaule qui s’est forgé un redoutable sens de l’humour, et qui n’a cure de l’être-martyr qui se sent rejeté en se levant le matin et défait en se couchant le soir.

L’équilibre parfait entre le « double abattu » et le Burton sadique est-il possible ? Oui, et Batman, le défi, en est une preuve parfaite. Dans cette fresque hivernale, le tragique alimentait le comique, et le grotesque alimentait le poignant. D’un côté, on nous montrait de sublimes blizzards-sur-toile représentant la ville de Gotham, et de l’autre, des performances aussi dérangées que celles de Danny DeVito en Pingouin, dégueulasse avec brio. Et tous ces éléments semblaient se répondre et se renforcer. Sleepy Hollow, le film qui nous intéresse aujourd’hui, en est une preuve moins parfaite, mais tout de même satisfaisante.

Pas tant un miracle fait de contradictions tissées ensemble, plutôt une négociation calme et cordiale entre celles-ci, Sleepy Hollow est un long-métrage au rythme plaisant et à l’atmosphère grise convaincante. Johnny Depp, jouant un inspecteur névrosé et cartésien confronté au surnaturel – à la Légende du cavalier sans tête –, y est moins attendrissant que dans Edward aux mains d’argents, et sans doute moins nuancé. Tant mieux ! Ce qu’il fait ici est plus neuf de la part des deux collaborateurs artistiques. Des années plus tard, les partitions de cette vedette déchue pour le réalisateur baroque auront quelque chose de grinçant, comme seuls les adultes qui perçoivent encore le monde avec des yeux d’adolescent repoussé peuvent l’être.

Une partition maligne de Walken et du cascadeur Ray Park dans le rôle du cavalier.

Ici, Burton utilise son humour à bon escient et fait preuve d’auto-dérision : Il sait qu’il peut provoquer le rire avec la physicalité burlesque et le visage Keatonesque de son comédien-fétiche. Maquillé comme dans un film muet, Depp trésaille, sursaute, tremble et se cache pour le plaisir du spectateur. Il est pleutre avec talent et avec flair. Burton a finalement compris que l’animus tourmenté d’un homme qui a gardé quelque chose de l’enfance, peut être drôle et chancelant, et pas seulement tragique et larmoyant.

Outre le protagoniste du long-métrage, son antagoniste est aussi plutôt drôle : Mélangeant adroitement les pulsions-rire et les pulsions-souffrir, Christopher Walken, incarnant le sombre cavalier, est en roue libre. Son visage est plus intense que jamais, ses yeux bleus glacés ne connaissent pas la chaleur humaine. En revanche, ses vocalisations et quelques menues mimiques sont augmentées et pleines de bravade. Lui aussi a une physicalité burlesque ! Il n’est pas, et ne doit pas être uniquement terrifiant. Et si le revenant sans tête apparaissait plus souvent dans l’intrigue, nul doute que Walken aurait proposé une performance aussi délicieusement répugnante et complète que celle de DeVito, son partenaire de jeu dans Batman.

Sleepy Hollow : Un récit moins épidermique mais tout aussi personnel.

Quid du romantisme du film ? Une fois de plus, c’est le personnage joué par Depp qui nous permet de le voir. Un garçon pas comme les autres, aux sensibilités modernes, Ichabod Crane est un personnage anachronique. C’est que Burton voulait qu’il porte les leçons que lui-même a appris dans son vécu. C’est-à-dire, manifestement, que les hommes plus âgés, les pères, peuvent être des figures délétères, voire violentes, et tyranniques, voire meurtrières. Pour le frémissant Ichabod, pré-figure d’homme contemporain délicat, tout est à reconstruire, quand on parle de la romance et des amourettes. Lui a eu un bien sombre modèle : Son paternel (Peter Guinness), torturant sa mère (Lisa Marie), avant de mettre fin aux jours de celle-ci dans une vierge de fer.

Ce féminicide trouve écho à la fin du film, quand le cavalier assassine son invocatrice (Miranda Richardson), à l’aide d’un sombre baiser de la mort, donné avec des lèvres tranchantes et des dents aiguisées. Le voici, le lyrisme de Sleepy Hollow : Un portrait à charge, lugubrement poétique, des pulsions sexuelles et romantiques macabres des patriarches. Et, par contraste, la possibilité pour Crane de tracer une nouvelle voie, un homme plus tendre qui refonde une famille symbolique autour de sa promise au cœur sauvage et à sauver (Christina Ricci), ainsi que de l’orphelin qu’il guide et qu’il estime (Marc Pickering).

Porté par un Johnny Depp qui ne fait pas du Johnny Depp – Pas que du Johnny Depp –, Sleepy Hollow n’est pas un grand film de Tim Burton. Il faut le dire, la concurrence est rude, le cinéaste étant responsable d’autres œuvres remarquables, remarquées et aériennes. Sorti à l’aune du nouveau millénaire, à un moment charnière de la carrière de l’artiste, Sleepy Hollow est cependant une fenêtre douce-amère vers l’évolution sage qu’il aurait pu avoir, s’il avait persévéré dans cette voie. La retransformation du cavalier sans tête en cavalier avec tête prête même à penser à Mars Attacks, avec ces images de chair exposée et d’yeux sans paupière : Loin d’être le film auto-contemplatif du « double abattu », Sleepy Hollow nous fait donc penser à l’opus le plus rock de son auteur ! Libre à nous, désormais, de redécouvrir ses épais brouillards dans une copie admirable et enveloppante, sur cette réédition chez ESC.

Titre original : Sleepy Hollow

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Durée : 110 mn


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