Shin Godzilla

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Godzilla ressurgit pour désormais répondre aux maux de la catastrophe de Fukushima.

Devenu avec le temps un emblème de la pop culture japonaise, Godzilla est à l’origine une illustration du traumatisme nucléaire japonais avec cette créature toute puissante et destructrice. Le Godzilla de Ishiro Honda (1955) sorti quelques années à peine après les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki était ainsi un film oppressant ravivant sous un angle spectaculaire et mythologique des blessures encore vivace. Au fil des multiples suites et de la popularité du genre kaiju-eiga, le bestiaire s’est enrichi (le ptérodactyle Rodan, le papillon Mothra, la tortue Gamera) et le passif inquiétant initial s’est parfois dilué dans le divertissement bariolé. Lorsque Shin Godzilla sort en 2016, près de douze ans se sont écoulés depuis le précédent opus de la franchise (si l’on fait exception du remake américain de 2014 signé Gareth Edwards), le plutôt déjanté Godzilla: Final Wars de Ryuhei Kitamura. Un monde en somme puisqu’entre temps la catastrophe nucléaire de Fukushima de 2011 a ravivé toutes les peurs désormais lointaines pour la jeune génération. Shin Godzilla en tient bien évidemment compte et revient de manière passionnante à l’essence sombre de mythe.

Au commande on trouve le très cérébral Hideaki Anno qui malgré quelques excursions live (l’adaptation kitsch du manga Cutey Honey de Go Nagai) est surtout connu pour son travail dans l’animation, étant le fondateur du mythique Studio Gainax et le créateur de séries cultes telles que  Neon Genesis Evangelion ou Nadia, le secret de l’eau bleue. On peut donc largement lui attribuer à dimension réflexive du film tandis qu’à la coréalisation il est accompagné de Shinji Higuchi (ayant également débuté dans l’animation) habitué des effets spéciaux et de ce types de logistiques après avoir adapté en live le manga et la série d’animation L’Attaque des titans (2015). L’une des premières surprise de Shin Godzilla est d’être l’anti-film catastrophe dans sa narration et construction. Les apparitions furtives puis spectaculairement concrètes de Godzilla alternent ainsi avec des scènes de bureau où les membres du gouvernement japonais débattent sur la marche suivre. Il est impossible de ne pas voir dans cette vision une critique des atermoiements réels des dirigeants japonais après le tsunami et l’incident nucléaire de Fukushima. En effet le système pyramidal japonais joue à plein ici dans le montage où différents cabinets et ministères se renvoient la balle sans réellement savoir quoi faire. Ces dirigeants hésitants sont cependant omnipotents du fait de leur seule ancienneté quand le jeune assistant (Hiroki Hasegawa) évoquant le premier la possibilité d’une créature est moqué jusqu’à l’apparition effective de Godzilla aux yeux de tous. On sent qu’Anno (qui a dû surmonter cette organisation figée en fondant son propre studio) fustige un Japon sclérosé, où chacun se décharge et renvoie la décision plus haut où trône pourtant un Premier Ministre tout aussi indécis. Certaines scènes s’avèrent explicite à ce titre lorsque des experts biologistes installés seront sans réponses quand une jeune femme moins « gradée » saura donner des éléments plus concrets.

Les cadres fixes, les discours convenus, les postures statiques et les couleurs monochromes de ces séquences de bureau constituent un contrepoint à la menace de Godzilla. Les humains et plus spécifiquement les japonais engoncés dans leurs traditions ne peuvent lutter farce à la forme mouvante de la créature. La première manifestation de Godzilla nous en montre un design assez éloigné de ce que l’on en connaît, rampante, perdue et avançant sans but. L’évolution est cependant au cœur de sa nature, l’être aquatique parvenant à marcher, se redresser et devenir peu à peu le croisement de mammifère et reptile menaçant inscrit dans l’inconscient collectif. Quand les humains n’ont qu’une violence basique à lui opposer, les aptitudes de Godzilla se révèlent à travers son métabolisme mutagène lors de séquences spectaculaires. Une stupéfiante scène d’apocalypse nocturne déploie toute l’emphase cauchemardesque dont est capable Anno et fait également office de catharsis qui « efface » l’ancienne génération. La fascination pour la destruction qui court dans l’œuvre d’Anno trouve toujours son écho dans le tourment intérieur de ses personnages devant y répondre (particulièrement dans Evangelion), et ici symbolisé plus globalement par le Japon moderne.

Le scénario pousse le vice jusqu’à solutionner une nouvelle fois ce problème japonais par une frappe nucléaire sur Tokyo destinée à annihiler Godzilla. La dernière partie du film tend ainsi à une union, à un réveil des forces vives ainsi qu’à l’avènement de jeunes gens qui sauront faire différemment pour répondre au danger. C’est le mimétisme d’un Japon passé ayant plus d’une fois affronter le chaos et la destruction (le séisme du Kanto en 1923, ceux de Kobé en 1995) et qui par son union, son ingéniosité technologique, a toujours sut s’en relever. Après avoir montré les travers qui l’ont parfois perdu, Anno orchestre donc un climax à la fois tendu et ludique pour affirmer le renouveau possible du Japon. Godzilla déchaînait sa furie dans les ténèbres de l’ancien monde, il stoppera sa marche dans la lumière du nouveau. Ce renouveau passe d’ailleurs par une ouverture, une hybridation contenue dans les passages où l’on voit le reste du monde aider le Japon, mais aussi par le personnage métissé joué par Satomi Ishihara (représentant tour à tour l’arrogance étrangère et le respect de sa terre natale). Cette hybridation a d’ailleurs cours dans les techniques du film, mélangeant habilement la tradition du cascadeur en costume et des effets numériques très réussis (pas une gageure dans des productions japonaises pas toujours loties à ce niveau). Shin Godzilla est une œuvre passionnante et habile entre imagerie feutrée et spectaculaire pour affirmer son propos.

Titre original : Shin Gojira

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Durée : 120 mn


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