Sarah, elle, préfère peut-être les filles : pas sûr, Chloé Robichaud, vingt-six ans à peine, a le très bon goût d’à peine esquisser ce qui définit son personnage, en construction. De sa sexualité par exemple, on ne saura rien, si ce n’est qu’un jour, dans les vestiaires, elle prend la main d’une fille, et que ça n’a pas l’air d’être la pire des choses qui soit. Ce qui intéresse Robichaud, c’est l’intérieur, le bouillonnement dans le ventre de Sarah, mélange de colère rentrée et d’envie qu’on la laisse toute seule, qu’on la laisse vivre sa vie et courir, toujours courir. Tout ce qu’on ne peut pas filmer et qui doit s’exprimer ailleurs : par l’irruption d’un demi-sourire sur le visage plus qu’impassible de Sarah, par une ride qui se creuse tout d’un coup, par une relation sexuelle à laquelle on consent parce que c’est plus simple. Tout cela, Sophie Desmarais l’incarne idéalement, filmée sous toutes les coutures dans des plans longs et pas ennemis du fixe où Robichaud l’observe sans la brusquer – quand on saisit quelque chose de Sarah, c’est un peu par accident, par quelque chose qu’elle laisse soudain échapper et qui est tout autant une surprise pour nous que pour elle.

Sarah préfère la course est ainsi un récit de passage de l’âge adulte, mais à rebours, sans les péripéties habituellement liées à la période. Sarah est placide, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne ressent rien, mais elle prend son temps, zigzague dans sa vie personnelle et sociale autant qu’elle fonce dans tout ce qui concerne le sport. Elle sort de temps en temps, boit “comme tout le monde… enfin, moins que tout le monde”, veut bien assister à un karaoké mais pas chanter. De là à dire qu’elle est catatonique, il n’y a qu’un pas, que Chloé Robichaud ne franchit pas – elle laisse à Sarah le loisir d’être un personnage un peu à la marge, qui a bien le droit de ne pas vivre au même rythme que les autres filles et garçons de son âge. Le film est, du coup, en dents de scie, fait alterner de très fortes scènes (l’interview de Sarah) et d’autres plus convenues (la relation avec Antoine), dans une sobriété de la mise en scène qui menace parfois de tomber dans la franche austérité. Il reste l’impression d’avoir perçu quelque chose de la sensation, à vingt ans, d’être à côté des choses : pour un premier long métrage, ce n’est pas rien.