Roqya

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Quand les peurs du Moyen-Âge reviennent au galop !

Dénoncer le malheur

Réalisateur et scénariste chez Iconoclast, Saïd Belktibia est le réalisateur de deux courts-métrages reconnus, Ghettotubeen 2015, sélectionné au Festival du film de Tribeca, et Le casse du siècle diffusé sur Canal+ en 2021. Son premier long-métrage, Roqya, est coécrit avec Louis Pénicaut et il met en scène trois acteurs connus particulièrement saisissants dans leurs rôles :  Golshiftehn Farahani, Jérémy Ferrari et Denis Lavant. Il est étonnant, en plein XXIe siècle qui avait été annoncé comme un nouveau siècle des Lumières, de rencontrer à nouveau des sorcières. C’est pourtant ce que le titre de son film annonce puisque le terme roqya signifie en arabe les paroles ou actes utilisés par ceux qui apaisaient les maladies occultes. Mais il ne faut pas se méprendre : selon le réalisateur et certains sociologues contemporains, la magie et la sorcellerie n’ont jamais fait aussi bon ménage que de nos jours avec l’influence d’Internet et des réseaux sociaux.

Nour, jeune femme moderne

Nour habite en banlieue, a un jeune garçon et est séparée de son mari, comme des milliers de femmes, pourrait-on dire. Cependant, elle vit – et plutôt bien – du commerce de plantes et d’animaux interdits pour les revendre à de modernes sorcières et guérisseuses. Le film débute d’ailleurs par des images un peu oppressantes et verdâtres pour montrer Nour au travail, passant les portiques d’aéroport avec des animaux planqués dans son manteau et même dans son œsophage comme une mule colombienne. Malgré son côté speed, que Farahani met bien en exergue, et ses soucis conjugaux, tout pourrait bien continuer ainsi jusqu’au jour où un petit garçon handicapé meurt à cause d’un guérisseur qu’elle aurait recommandé à sa famille. Son père, un peu perdu et hystérique, que Denis Lavant s’emploie à amplifier parfois de façon grotesque, lui jette un anathème en la déclarant sorcière et toute la cité la prend en grippe et la pourchasse comme dans un western. Le réalisateur avoue lui-même être très marqué par le cinéma coréen et certaines séquences de son film sont très violentes notamment une scène où Nour se fait malmener ou une autre où elle court pour échapper à la furie des internautes qui diffusent des vidéos où elle apparaît et des commentaires où on la menace de façon atroce et menaçante. Il faut à ce niveau préciser peut-être que la religion musulmane condamne fermement, comme la chrétienne autrefois, les pratiques de magie ou de sorcellerie même si, paradoxalement, les gens y ont pourtant souvent recours.

Obscurantisme vs modernisme

Mais le film ne choquera pas seulement par sa violence et son univers glauque, presque moyenâgeux. Il pose aussi de sérieuses questions sur le degré de folie de notre monde où les nouvelles technologies et la gestion de la médecine capitaliste l’ont conduit. Il ne faut pas voir dans ces réactions de l’obscurantisme ou du machisme, mais bien plutôt le résultat, et de la facilité avec laquelle on peut dénoncer et punir maintenant grâce aux réseaux sociaux, et de la déliquescence d’une société qui détruit l’école et la médecine. Les citoyens auront, selon le réalisateur, de plus en plus besoin de la roqya et c’est très inquiétant. « Ça révèle que personne ne répond plus à vos questions, explique Saïd Belktibia. Alors si on vous dit qu’une femme au septième étage, avec un peu d’encens, et pour quelques billets vous aidera à aller mieux ou à sauver votre enfant, c’est dur de ne pas y croire. D’autant plus quand on n’a plus personne vers qui se tourner, dans un monde en perte de sens. Tout cela est le quotidien de millions de gens et est largement sous représenté au cinéma. » Il n’est pas étonnant après ça de constater que le Moyen-Âge revient dans ce qu’il a de plus terrible et, curieusement, grâce aux nouvelles technologies !

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Durée : 97 mn


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