Pour autant, ce geste récapitulatif ne va pas sans une volonté de renouvellement, une certaine forme de lâcher prise, et il ne serait pas absurde de voir ce nouvel opus comme un terrain d’expérimentations, un paradoxe fait film, où le cinéaste confronte une esthétique de l’épure et de la limpidité – la sécheresse dépouillée du filmage, le goût des plans explicites et des ellipses brutales – à une dynamique de trop-plein et d’éclatement – des espaces, mais aussi d’un récit multipliant les pistes narratives sans nécessairement les mener à leur terme. En résulte une œuvre accidentée, pleine de cahots et de trous, toute en ruptures et décrochages, où le cinéaste recycle, entre circonvolutions hasardeuses et raccourcis étranges, les figures imposées de son cinéma de manière plus ou moins inspirée. À travers le cheminement du héros, sorte de grand benêt un peu lâche qui apprend progressivement à faire face, Guiraudie télescope ses obsessions à des thèmes très actuels. Solitude des campagnes et misère sexuelle, attaques de loups sur les troupeaux de moutons, homme qui élève seul son enfant, ou encore suicide assisté, y sont brassés au fil d’une narration sujette à une certaine dispersion. Film libertaire et échangiste dans l’âme, Rester Vertical est aussi le lieu de relations mouvantes, où les statuts se trouvent sans cesse reconfigurés. Chez Guiraudie, et ici plus que jamais, le constat est sans équivoque : entre ami (ou ennemi) et amant, il n’y a qu’un pas, aisément franchi. Cette dynamique, qui n’est autre que celle du désir, n’est parfois pas sans cruauté, mais sa loi reste immuable, naturelle, indifférente à toute morale. Le film s’inscrit également dans une vision humaniste qui, pour être plutôt froide et théorique, peine à susciter l’émotion. Quand le point aveugle du récit enfin se révèle, Rester Vertical tutoie alors une puissance d’incarnation, un imaginaire de l’immémorial et du mystère, qui jusque-là lui manquait tant. Alain Guiraudie conclut sur ce moment merveilleux, en suspens, où la nature se fait l’écrin sublime de l’apparition mythique et du courage retrouvé de vivre.