Les Visiteurs du soir

Article écrit par

Film de Marcel Carné

Cette fin d’année 2012 ajoute à la célébration des Enfants du paradis (1945) – une exposition à la Cinémathèque, une ressortie en grandes pompes – la ressortie d’autres réalisations de Carné, période « réalisme poétique ». Les Visiteurs du soir semble aujourd’hui, au regard du seul véritable chef-d’œuvre produit par le duo Carné/Prévert, d’une pauvreté esthétique assez navrante. Le film, réalisé en pleine Occupation, avait pour ambition d’échapper à son époque en allant se réfugier dans un Moyen Âge proche du merveilleux. Il construit malgré tout des résonnances avec sa contemporanéité dans son histoire (une invasion en quelque sorte), sa structure narrative et ses enjeux (imposer une emprise, y résister), présentant des figures qu’on peut voir comme proches d’autres, plus réelles.

Dans cette fable médiévale, le diable envoie deux de ses créatures semer la discorde au sein d’une famille de la petite noblesse. Arletty (Dominique) et Alain Cuny (Gilles) investissent un blanc château pour y prodiguer leurs charmes, briser les couples, séduire le châtelain, sa fille et son fiancé. Leurs tours et détours les engagent dans un affrontement entre le Destin, l’Amour et la Mort. Tout ça.

L’écueil le plus évident du film consiste dans le fait que la naïveté de son symbolisme n’est jamais soutenue par un (des ?) enjeu de figuration qui le prendrait à bras-le-corps, et lui donnerait de la profondeur. Les images et leurs agencements sont faibles. Ici, tout repose sur le texte et son interprétation, et celui-ci est, globalement, mal écrit, mal récité. La caméra laisse place à l’expression d’une théâtralité qui s’épuise vite dans des déclamations caricaturales, le peu de variations dans les cadrages devenant symptomatique d’un effacement de la mise en scène devant laisser toute sa place à l’acteur. Les enjeux s’en trouvent atténués, pour ne pas dire plus, l’atmosphère dépressive et pontifiante enveloppant le récit pétrifiant d’emblée les personnages et leurs mots dans des poses qui ne mentent pas quant à leur provenance : on est au Moyen Âge, mais ça parle le Carné/Prévert, sagement, ça le revendique, ça l’encadre, et ça prévient que ça ne sortira jamais de ce sillon tout bien tracé. Quelques idées sont bien là pour « faire cinéma », comme cette transition s’effectuant par un rapproché sur les jambes d’Arletty, puis un mouvement de recul, ou le suivi d’un duel en surimpression dans l’eau d’une fontaine. Mais tout ça ne casse franchement pas trois pattes à un canard.

Si les premières images convoquent la magie et la monstruosité (résurrection d’un ours, présentation de nains difformes au cours d’un banquet), le film fait le choix de laisser de côté toute forme de fantaisie, qu’elle soit visuelle ou narrative, pour se contenter d’évoluer dans un univers d’une tristesse et d’une monotonie consciencieusement entretenues jusqu’à son terme. Cet esprit de sérieux sans envergure donne très vite le sentiment d’une désagréable indifférence des auteurs pour leurs scènes comme pour leurs images. Les répétitives déclarations d’amour de Marie Déa (Anne) et d’Alain Cuny ne font résonner aucune vibration, n’ébranlent rien du tout. Le diable lui-même (interprété par un Jules Berry cabotin) ne parvient jamais à affoler quelque chose dans la mise en scène. Tout reste sous contrôle, mollement.

Titre original : Les Visiteurs du soir

Réalisateur :

Acteurs : , , , , , , , , ,

Année :

Genre :

Pays :

Durée : 110 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

10 films d’Hitchcock restaurés de ses débuts ou la quintessence d’un style naissant

10 films d’Hitchcock restaurés de ses débuts ou la quintessence d’un style naissant

Durant les années 20, l’industrie du film britannique est atone et inconstante; accusant un sérieux déficit de productivité. Elle est battue en brèche et surtout battue froid par l’usine à rêves hollywoodienne érigée en modèle insurpassable de production. Grâce à son oeil cinématique affûté, Alfred Hitchcock va lui insuffler un nouvel élan créatif ; s’affranchissant progressivement des contraintes de production et de la censure. Une carte blanche est accordée à ce « wonder boy » défricheur pour sortir le cinéma britannique de l’ornière commerciale dans laquelle il paraît englué. Elle s’exprimera au travers d’une dizaine de films précurseurs. Retour de « manivelle » sur The manxman et Chantage..