Ressortie : « La Folle escapade » de Martin Rosen

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Après « The Plague Dogs », Splendor Films nous fait découvrir le premier chef-d’oeuvre de Martin Rosen, classique absolu du cinéma d’animation.

Un monument autant qu’un ovni du cinéma d’animation que ce déroutant Watership Down. À l’origine, on trouve tout d’abord un classique de la littérature anglaise paru en 1972 et écrit par Richard Adams dont ce fut le premier roman et le plus grand succès. L’histoire naît de l’imagination de l’auteur au cours d’un long trajet en voiture où pour distraire ses deux filles, il leur raconta les curieuses aventures de lapins en exil. C’est donc au départ une série de courts récits au gré de voyages familiaux, dont Adams, pressé par ses filles, décidera plus tard d’en tirer un roman. La publication sera de longue haleine puisqu’avant que Rex Collings ne l’accepte avec des pincettes, pas moins de 13 éditeurs l’auront auparavant refusé. Le succès sera immense et le livre deviendra un véritable phénomène récompensé de nombreux prix littéraires prestigieux. Tout ça pour des histoires de lapins voyageurs ? Pas tout à fait… Dans la nature improvisée de son histoire, Adams aura inclus des sources d’inspirations inattendues où se retrouvent odyssée épique, symbolisme religieux, analogies guerrières (certains épisodes s’inspirent de récits de guerre rapportés à Adams par des amis ayant vécu la bataille d’Arnhem en 1944), poésie et autobiographie, la fameuse destination des Watership Down (Les Garennes de Watership pour le titre français) se situant sur une colline du nord du Hampshire où l’auteur a grandi.    
 
 

 
Tous ces éléments s’harmonisent de merveilleuse façon dans la périlleuse adaptation qui en est tirée en 1978. Martin Rosen, qui au départ désirait simplement produire la version cinéma, s’improvisera réalisateur pour mener le projet à son terme (le premier réalisateur envisagé, John Hubley, décédant peu avant le tournage) et après moults hésitations (comme user de marionnettes…) optera pour l’animation afin d’approcher au plus près l’esthétique des illustrations du livre. Dès la magistrale scène d’ouverture on comprend que le pari est réussi et que ce qui suivra n’aura rien de commun. Dans une imagerie de dessins tribaux, une voix off nous narre une sorte de livre de la Genèse lapine où ceux-ci, désignés comme le peuple élu par leur Dieu Frith, se seraient toutefois montrés indignes de sa bienveillance. Celui-ci fait donc de toutes les autres créatures animales des ennemis amenés à les pourchasser, faisant désormais de la terre un lieu de danger permanent pour eux mais les dotant de qualités pour y survivre au détour d’une mémorable tirade :

All the world will be your enemy, Prince with a Thousand Enemies. And whenever they catch you, they will kill you. But first, they must catch you: digger, listener, runner, prince with the swift warning. Be cunning and full of tricks, and your people will never be destroyed. (Le monde entier sera ton ennemi, prince aux mille ennemis. Chaque fois qu’ils t’attraperont ils te tueront. Mais d’abord, ils doivent t’attraper : creuseur, guetteur, coureur, prince prompt au danger. Soit adroit et plein d’astuces, et ton peuple ne disparaîtra jamais.)

  
 

    
  
  
C’est ensuite le livre de l’Exode qui est convoqué lorsque l’histoire reprend au présent, avec le départ d’un groupe de lapins vers une hypothétique « Terre promise » quand leur garenne se verra menacée par un chantier, une apocalypse vécue selon le point de vue de Fiver, qui deviendra le prophète des voyageurs. On alterne ensuite entre la nature ludique et enfantine attendue (le loufoque personnage de l’oiseau Kehaar) et une saisissante noirceur. Éléments naturels, chiens, chats et humains se placent en obstacles qui feront du périple un voyage au bout de la nuit pour nos lapins qui devront trouver les ressources héroïques pour arriver à destination. Les héros sont formidablement caractérisés (et anthropomorphisés juste ce qu’il faut, par l’expression du regard notamment) avec chacun des qualités propres à mener leur quête à terme : l’illuminé et innocent Fiver, Hazel son frère en forme d’Ulysse plein d’astuce, le courageux et combattif Bigwig et le poète et conteur Dandelion qui apporte une dimension légendaire à leurs hauts faits. Le casting vocal haut de gamme rend d’autant plus fort la réalité des personnages avec notamment Ralph Richardson, John Hurt, Nigel Hawthorne ou encore Roy Kinnear. Les animateurs se nourriront de leurs performances pour revoir leur copie et rendre plus intenses encore les réactions des lapins. L’animation masque brillamment ses limites de fluidité (cela reste tout de même tout à fait efficace et réussi) en renforçant cette dimension iconique qui donne peu à peu une dimension quasi mythologique aux lapins et à leurs aventures. Le sommet est atteint lors d’un sublime moment d’onirisme où Fiver part à la recherche de son frère blessé par un chasseur, guidé par le spectre de Frith tandis que s’entonne la chanson "Bright Eyes" d’Art Garfunkel (qui sera un immense tube et contribuera grandement au succès du film).
  
 

 
 
La plus grande audace surgit dans la dernière partie du film, accentuant encore l’analogie lapin/humain puisque le plus grand péril proviendra de leur propres congénères ayant établi une société tyrannique. Cela tient autant de la métaphore sur la dictature et le libre-arbitre que du pur film de guerre et d’évasion se terminant sur un final sanglant et épique, General Woundwort constituant un méchant d’anthologie. Une belle et poétique dernière scène fige magnifiquement la magie de l’ensemble sur le score somptueux d’Angela Morley. Triomphe inattendu à sa sortie, le film est aujourd’hui considéré comme un classique et figura à la 86e place des plus grands films d’animations de tous les temps dans le documentaire de Channel 4 100 Greatest Cartoons (2005) ainsi qu’à la 47e place des plus grand films britanniques pour la revue Total Film en 2004. La Folle escapade est un grand film où l’on peut deviner une des influences de Zack Snyder sur son très bon Royaume de Ga’Hoole (2010) voire de Nick Park et Peter Lord pour Chicken Run (2000).

Titre original : Watership Down

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Durée : 101 mn


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