Rencontre avec Andrew Haigh

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À l’occasion de la sortie en salles de Week-end, rencontre avec un cinéaste du quotidien et de l’instant.

Pourquoi avoir choisi d’explorer le début d’une relation amoureuse ?

Le début d’une relation est une période très intéressante, car c’est le moment où l’on dresse à l’autre un portrait de soi qui n’est pas totalement la vérité. On livre une projection de soi plutôt que ce que l’on est vraiment. Quand les gens restent ensemble, la vraie nature d’une personne finit a priori par ressortir. C’est ce que j’essaye de faire dans Week-end : montrer comment on se met en scène au début avant que notre personnalité ne commence à émerger. Mais aussi, je voulais faire une histoire d’amour entre deux hommes. Il y a eu tellement de films avec des histoires d’amour entre hétéros que je voulais inverser la tendance. Montrer à quel point c’est pareil, et en même temps très différent.

Week-end est un film très personnel. Y a-t-il une part autobiographique ?

Je ne crois pas qu’il soit possible d’écrire une telle histoire sans l’avoir un peu vécue. Donc ce n’est pas autobiographique, mais il y a des éléments dans le film qui viennent de moi, de ma vie, de la manière dont je vis les choses. C’est pour ça que je ne voulais pas que ma mère le voie ! Mais finalement, elle l’a vu vingt fois, elle l’adore !


Les deux personnages de Week-end pourraient-ils être ensemble sur le long terme ?

Non, je ne pense pas. Ce que je voulais montrer, c’était les rencontres impromptues et fugaces, celles qui durent deux jours, deux heures… Celles où l’on ne pense même pas à l’éventualité d’une relation. Parce qu’à partir du moment où on l’envisage, on ne se laisse plus autant aller. Glen et Russell sont faits l’un pour l’autre à ce moment précis, mais peut-être pas sur le long terme.

Vous avez tourné à Nottingham, en 17 jours. Était-ce pour filmer cet état d’urgence ?

Au début, c’était une question d’argent. Mais au final, je pense que je l’aurais fait exactement pareil que si nous avions eu plus d’argent. On tournait beaucoup en une journée, et finalement oui, ça a servi l’histoire, puisque tout devait se jouer très vite. Nous avons tourné à Nottingham parce qu’une organisation locale nous donnait des subventions si l’on tournait dans la ville, mais aussi et surtout parce que je ne voulais pas que l’action se déroule à Londres. Je voulais que les personnages soient des gens « normaux » dans une ville « normale », et non pas des party people qui vivent dans le quartier de Soho.

Comment s’est déroulé le casting ?

C’était un processus plutôt long. On a vu beaucoup de monde pendant deux semaines. La plupart étaient bons quand ils jouaient seuls, mais n’allaient pas du tout ensemble quand on les mettait en couple. Quand j’ai mis Chris New et Tom Cullen dans la même pièce, c’était évident : ils s’entendaient bien d’emblée.


L’un des deux acteurs est hétéro. Vouliez-vous des acteurs gays ?

Au début oui, parce que je pensais que ce serait plus simple. Mais c’est difficile de poser des questions sur l’orientation sexuelle au cours d’un casting ! Du coup, je demandais simplement aux acteurs s’ils étaient à l’aise avec le fait de tourner une scène gay, un rapport sexuel… Je n’aurais pas pris un acteur qui aurait pu avoir la moindre gêne, même la plus infime.


Week-end
ressemble très souvent à la vraie vie…

Je voulais absolument que le film soit proche du réel, que les spectateurs oublient presque être face à un film. Pour obtenir ce résultat, il y a plein de petites décisions à prendre : les sons ambiants, un dispositif caméra ramené au plus simple… Je recherchais la simplicité, surtout. Ce n’est pas un documentaire, mais il y a une certaine forme de réalisme.


Le film est composé de plans longs, souvent fixes. Est-ce que votre travail en tant que monteur a pu influencer votre manière de réaliser ?

Oui, un peu. Je n’aime pas les films trop montés. Dans un film traditionnel, ces échanges entre deux personnes seraient rythmés par le montage. Je ne voulais pas ça. Je voulais qu’on puisse voir les changements se produire au fur et à mesure, sans coupure. De cette manière, on observe les choses se développer beaucoup plus naturellement.


On pense aussi parfois à une suite d’instantanés photographiques…

C’est quelque chose que je recherchais. J’ai d’ailleurs travaillé avec deux photographes toujours présents sur le plateau [Quinnford & Scout, ndlr], qui ont vraiment influencé le film. Je voulais montrer des tranches de vie, sous forme d’instantanés justement. Cela permet, une fois encore, de voir les choses telles qu’elles sont.

Vous faites référence, de manière ironique, à Coup de foudre à Notting Hill de Roger Michell. Pourrait-on qualifier Week-end de comédie dramatique romantique ?

C’est un clin d’oeil, parce que j’ai travaillé sur Notting Hill en tant qu’assistant monteur. Mais je ne qualifierais pas Week-end de romance. Je dirais plutôt que c’est un drame qui joue avec des conventions romantiques.


Le personnage de Russell est encore peu à l’aise dans sa sexualité, tandis que Glen est totalement out, presque engagé. Tentiez-vous de dresser un état des lieux de l’homosexualité aujourd’hui ?

Oui, dans une certaine mesure. Les choses sont plus faciles aujourd’hui qu’à l’époque, mais elles restent compliquées pour la plupart des gens, surtout à l’extérieur des grandes villes. Je voulais montrer que les hommes sont définis par beaucoup plus de critères que leur simple orientation sexuelle.

Quels films et/ou réalisateurs aviez-vous en tête au moment du tournage ?

Beaucoup de réalisateurs américains indépendants, aux budgets restreints, comme Kelly Reichardt notamment. Une certaine génération de néo-réalistes. Je ne voulais pas que le film soit trop excentrique ou trop indépendant, comme ceux de certains réalisateurs  » sundanciens « , même si c’est tout de même à eux que je pensais. Pas beaucoup de films gay, en revanche. Aucun ne me semble vraiment satisfaisant. A part peut-être Beautiful Thing, mais j’étais jeune quand je l’ai vu ! En même temps, que veut dire « cinéma gay » ? C’est vraiment une définition stupide.


Des projets pour la suite ?

Je travaille sur deux films en parallèle, mais je ne peux pas encore en dire grand-chose. Ils seront en tous cas très différents de Week-end, et ne comporteront pas de personnages homosexuels. J’appréhende un peu, d’ailleurs ! Certaines personnes qui ont aimé Week-end s’attendront à voir un nouveau « film gay » ; d’autres, si le film est mauvais, se diront que je ne peux rien faire d’autre qu’un film gay. Mais je ne peux pas faire la même chose à l’infini. Je vais continuer à explorer les mêmes thèmes, mais de manière différente.

 

Propos recueillis par Jean-Baptiste Viaud – Mars 2012

À lire : la critique de Week-end.


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