Rafiki est le premier film kenyan jamais sélectionné à Cannes. Il a fait date également à cause d’une interdiction de projection dans son pays d’origine pour avoir dépeint un amour entre les deux jeunes filles de deux politiciens rivaux à Nairobi. Il s’agit d’un amour très fort dont ni l’église, ni les commérages ni les idées arrêtées ne pourront avoir raison. Cet amour ne peut dire son nom et c’est ainsi que le film porte le titre de « Rafiki », qui veut dire « ami » en swahili.
Réalisé par une femme, interdit dans son pays, venu d’une contrée peu représentée au cinéma, Rafiki est le genre de film dont Cannes raffole, ici à juste titre. Le premier long métrage de la réalisatrice passée par les Etats-Unis exhale un vent de fraîcheur et, bien que prenant des allures de mélodrame, Rafiki se révèle lumineux, coloré, rythmé par la pulsation des boîtes de nuit de Nairobi et d’une bande-son animée comprenant des titres de Muthoni Drummer Queen, Mumbi Kasumba ou encore Jaaz Odongo et Trina Mungai.
Sa lumière caressante, ses couleurs vives et marquées donnent déjà un certain cachet au film. Déclinaison d’une thématique classique voire éculée – l’amour interdit entre deux familles ennemies, une sorte de « Roméo et Juliette » lesbien en quelque sorte -, sa provenance originale et la revendication de celle-ci permettent à la réalisatrice Wanuri Kahiu de sortir clairement de l’ordinaire.
La qualité formelle du film est imputable à des collaborateurs de qualité : à la photo le sud-africain Christopher Wessel qui a œuvré pour des installations muséales, au montage la française Isabelle Dedieu qui a déjà travaillé avec Alain Cavalier ou Denys Arcand. Le montage donne du rythme à Rafiki – à commencer par un générique de début efficace et séduisant ; le travail sur les lumières chaudes, les couleurs joyeuses, l’attention accordée aux visages et aux corps les rendent très désirables.
Pour le reste, le film, adopté d’une nouvelle, est délicat, juste, procédant par rapprochements progressifs. Au début il ne s’agit seulement que de boire un « soda ». Puis, peu à peu, on joue au foot ensemble avec des garçons, on se rend en boîte de nuit, et subitement les lèvres se joignent.
Les deux jeunes filles se complètent bien, l’une est pleine d’assurance, compte aller dans des pays dont les habitants n’ont jamais vu de Kenyan ; l’autre se montre plus calme et veut devenir infirmière. La première a une beauté ostentatoire, flagrante avec sa coupe de cheveux recherchés et roses ; l’autre une beauté plus simple mais tout aussi réelle. La première danse ; l’autre regarde.
Le conflit entre modernité et tradition se retrouve au cœur de cette première réalisation de Wanuri Kahiu qui cristallise le conflit entre les ambitions d’une jeunesse éprise de liberté et le carcan d’une société corsetée, régie par l’église, une morale, des habitudes et un système de pensée sclérosés.
Outre qu’on croit à cette histoire et qu’on s’attache à ces héroïnes, on est vraiment contents d’avoir sur grand écran des nouvelles de Nairobi, de ses bistrots, commerces, moto-taxis, de cette jeunesse qui y pulse et vibre insolemment malgré tous les obstacles.