Drôle de charme, que celui de Plein sud, film dont paradoxalement la principale qualité serait de suivre le fil très transparent d’un scénario, comment dire, « ultra-français », dans tous les cas d’un récit ayant nourri d’innombrables films d’auteur français depuis les années 90 : celui de la quête communément sexuelle et identitaire d’un jeune homme (ou une jeune femme) dévoré par son passé, sur fond d’ancrage total dans la scène, l’image, d’attestation d’une infaillible adhésion au présent. Le quatrième long métrage de Sébastien Lifshitz, auteur des remarqués Presque rien (2000) et La traversée (2001, beau road movie documentaire où il accompagnait son co-scénariste et ami Stéphane Bouquet dans sa recherche d’un père américain), un peu disparu depuis son précédent Wild Side (2004), est ainsi la pure et simple actualisation d’un cinéma d’ascendance téchinéenne, soucieux d’adjoindre à un postulat romanesque (ici la traversée de la France de Sam, jeune homme de 27 ans en route vers l’Espagne – revolver en poche… – dans l’objectif de régler ses derniers comptes avec les fantômes du passé : père suicidé, mère internée) l’esthétique d’une éternelle vigueur naturaliste.
Le charme étrange de ce film repose donc sur la très grande honnêteté avec laquelle Lifshitz expose d’emblée les enjeux, les tenants et aboutissants de sa fiction. Certes Sam croisera la route d’un trio sexy (deux beaux mecs, dont l’un ne le laisse pas indifférent, et la sœur canon de ce dernier – Léa Seydoux, toujours aussi cinégénique) qui lui permettra un temps de se laisser aller à la plénitude du moment présent, au désir comme à la perte momentanée de ses objectifs de départ (le temps de jolis jeux de plages et abandons torrides sur fond de nuit d’été)… mais la récurrence des flashes-back sur son enfance apparaîtra tout le long comme la garantie pour le cinéaste de préserver son récit de la seule légèreté amoureuse, de l’alourdir du poids d’un trauma sans lequel son film n’aurait finalement que peu de raison d’être. Car Lifshitz, à l’instar de Téchiné mais pas seulement (Desplechin, Assayas, Lvovsky sont aussi concernés par la question), n’est pas, comme Rohmer (dont l’un des héritiers les plus notables et assumés serait Emmanuel Mouret), homme à se satisfaire de l’apparente futilité des seuls jeux de l’amour pour édifier ses fictions : pour lui, tout film digne de ce nom doit s’adjoindre d’un poids, d’une crise (identitaire souvent), d’un obstacle à dépasser (celui de l’acceptation de son homosexualité, par exemple, mais c’est heureusement plus complexe).
Plein sud est ainsi le produit d’une permanente négociation entre suivi d’une voie toute tracée (celle du grand drame psychologique à la française, entre longs regards silencieux, expression parfois maladroite des rancunes trop longtemps enfouies) et appel du large (acceptation, sinon de l’amour, dans tous les cas d’une attraction physique jusqu’ici refoulée ; fascination pour la figure de vamp incarnée par Seydoux, susceptible de mettre en crise par sa malice et sa trop grande défiance le projet linéaire du héros), s’aborde entre anticipation rieuse d’à peu près chaque scène ou réplique et conscience qu’il est sans doute difficile pour Sébastien Lifshitz – dont les films racontent au final toujours un peu la même chose – de mettre en scène autre chose que ce type d’histoire. La question n’est même plus, au fond, d’identifier le film comme représentant tardif d’un certain « jeune cinéma français » (généralisation très nineties), mais de savoir passer outre son inaptitude à être autre chose. Nul doute qu’il y a aujourd’hui jeunes cinéastes français plus neufs, plus soucieux d’excéder le suivi d’un drame singulier au profit d’une ouverture supplémentaire au monde, à la dimension universelle de certaines douleurs (Mia Hansen-Løve par excellence). Mais la présence sur nos écrans, à la toute fin de cette première décennie 2000, d’un film n’offrant davantage que du déjà vu – mais avec une modestie, une sobriété rares de nos jours – n’est pas une si mauvaise nouvelle : à l’instar du personnage de Sam, l’essentiel sera au final de se garantir la possibilité d’un nouvel élan, de nouveaux engagements impulsés par l’acceptation puis l’émancipation de son histoire (de toutes ces vielles histoires).